28 avril 2024

Nouvelles de la steppe politique

Vertiges de la communication, les pouvoirs gouvernent au micro ! Intraitable avec la chienlit universitaire, monsieur le Jeune Premier laisse sa ministre de l'enseignement supérieur se coucher (façon de parler vu son âge) devant les agitateurs antisionistes qui auraient mis SciencesPo « à feu et à sang (sic)». Rien que pour voir les députés insoumis écharpés passer entre les roues, j'ai attendu en vain les nouveaux blindés de la Gendarmerie rue Saint-Guillaume, alors que l'administration négociait sa libération avec les émeutiers. Les chaînes sont des allumeuses de bar américain : elles te raidissent le timon tant que tu bois leur parole et le cocktail maison avant de passer à un autre micheton ! L'évacuation du site et celle de la rue étaient désespérantes de banalité. Mais restons dans le troisième cycle.

Quelle mouche a piqué M. Macron pour se lancer dans un discours castrien sur l'Europe mortelle à la Sorbonne ? Pave-t-il le chemin de la présidence à vie de l'institution remodelée à sa main, ou plus prosaïquement, relance-t-il la campagne inaudible de la tête de liste macroniste qui est maintenant talonnée par la social-démocratie revenue à la vie grâce à l'entregent du mec à Léa Salamé ? L'autre aisance au pupitre est la nièce de la fille du pirate qui est rodée à la manœuvre de l'entretien médiatique et qui semble bien partie pour être remboursée. Programme ? Celui de Fratelli d'Italia de Meloni. Concurrent de poids, la coqueluche des comptoirs en zinc quant à elle, formaté comme un robot sur la communication de campagne électorale, propulse le programme de la Lega Nord de Salvini. A croire que l'italianisation du pays est en marche et que bien des surprises se construisent derrière le rideau pour la campagne présidentielle de 2026 comme on sait le faire dans la péninsule. En l'état actuel de l'opinion, le cumul des voix RN + REC aux européennes frise les 36%. De quoi donner de l'urticaire au Sphinx de l'Elysée qui aura passé dix ans en 2027 à leur ouvrir la voie du triomphe. Il n'aura servi à rien de dénoncer leur agenda caché, pour moitié fantasmé, au lieu d'en démonter le programme point par point une bonne fois. Aussi, rend-il déjà la nation responsable de cette dérive qui vire au naufrage de la politique de raison. Las, Marine Le Pen bat toute hypothèse concurrente sur le papier aujourd'hui. L'irruption annoncée du parti populiste illibéral sous les ors de la République, avec les conséquences que l'on sait sur la politique européenne, sera la faute du peuple français. S'exonérant de tout, l'Etat macronien n'y sera comptable de rien. Mais nous savons déjà qui poussera au chaos : les partis populistes de gauche, les mêmes qui ameutent leurs nervis en soutien du Hamas !

Parce que la France compte les plus nombreuses communautés juives et musulmanes d'Europe, le conflit israélo-palestinien y est très dangereux. Ça n'a pas commencé par les "mains rouges" de SciencesPo qui appellent explicitement au pogrom, mais on sent bien monter le plaisir d'en découdre entre la jeune garde cagoulée enrôlée par LFi et le Betar de Saint-Paul, jusqu'à ce que les "cités" s'intéressent au défi. Sans préjuger de l'issue technique de l'affaire de Gaza, il n'y a aucun autre programme chez aucune des parties en conflit que de foutre l'autre à la mer ! Toute pacification devra être forcée, baïonnette au canon, puisque les peuples antagonistes sont dévorés par la haine de l'autre. Qui s'y collera ? Personne !
Il y a donc des chances pour que le conflit frappé du tampon de l'insolubilité, s'exporte pour de vrai, surtout par le renfort des souffleurs de braises habituels ; aux Etats-Unis pour commencer - nous en serons donc avertis - en France ensuite. Les forces d'interposition seront-elles suffisantes ? Pas si les ordres sont les mêmes que ceux donnés pendant les émeutes de juillet, pas de drame non nécessaire absolument, pas de bavures. On ne va pas refaire Charonne ni les saturnales jaunes d'éborgnement. Jusqu'à ce que les affrontements débordent du cadre prévu et échappent aux réactions réglementaires du manuel. Où se mettra le franchouillard de base alors ? C'est la vraie bonne question parce que jusqu'ici on n'en sait rien, le sujet étant tabou, même au bar-pmu du coin. Mélenchon et ses moines-soldats pensent que leurs électeurs auront le dessus au bénéfice du nombre et qu'il en seront récompensés par une révolution à leur avantage. Le Pen et Zemmour comptent sur la police, la gendarmerie mobile, les chasseurs et les bikers de Johnny Halliday où ils font des scores très importants, pour résister à la terreur insoumise et neutraliser les factieux. Reste au milieu le marais qu'on achètera facilement en protégeant le régime de pensions, l'épargne et la propriété. S'il est mal vu de parler de guerre civile en France, rien n'interdit d'y réfléchir pour en organiser sa propre protection. La République ayant échoué à standardiser le citoyen lambda répondant à des valeurs communes lues et approuvées, elle va laisser s'installer le communautarisme gaulois qui fera l'excellent terreau du désordre permanent. Chacun devra choisir un camp pour se protéger ; il y en a plus que deux. Déjà, faites un passeport !

L'autre front de la semaine steppique est l'ultimatum voilé - c'est nouveau, ça vient de sortir - que l'Administration Biden adresse depuis Pékin à la Chine populaire en la personne de son Secrétaire d'Etat, l'invitant à cesser de renforcer la base industrielle militaire de la Fédération de Russie, à défaut de quoi Washington y mettra bon ordre à sa façon. Le vieux Biden veut-il montrer ses muscles dès son entrée en campagne, pendant que son adversaire rame de prétoire en prétoire ? Il n'est rien de pire que les causes secondes dans la décision des puissants quand on attend l'aboutissement d'un raisonnement construit. Du genre de celui qui écartait toute invasion russe de l'Ukraine. Une guerre économique de confinement sera-t-elle déclenchée par l'autisme chinois qui brasse de l'air et n'en fait qu'à sa tête ? Toute guerre économique décidée par les Etats-Unis, que ce soit par la surtaxation des importations chinoises ou par l'embargo des semi-conducteurs, déclenchera une crise sociale de grande ampleur qui fragilisera le régime communiste, mais aussi une très grave crise industrielle chez les clients occidentaux de la Chine privés de leurs intrants. S'il est probable qu'après le choc encaissé l'Occident retrouve les moyens de s'en remettre par la plasticité des décisions entrepreneuriales du haut en bas de l'échelle de production, il est moins certain que l'industrie chinoise, caporalisée par la réinjection des commissaires politiques dans les organigrammes des sociétés et des corporations, sache réagir en innovant tout en prenant des risques contre la nature du régime. Il est à souhaiter que le Deep State américain ne pousse pas l'analyse pour se convaincre d'une fenêtre d'opportunité pour un choc fatal au PCC à l'aube de la réélection de Joe Biden. L'Europe des trois peintres et de foutriquet éclatera sinon. Mais de vous à moi, il serait douteux qu'un analyste féru de polémologie n'ait pas commencé ce travail de prospective puisque le Pentagone a décidé de renouveler sa flotte de Doomsday Planes (avions du gouvernement volant en cas d'embrasement nucléaire général).

Spéciale dernière : désappointé par le peu d'enthousiasme suscité par sa défense européenne chez nos voisins, qui rejettent le majorat français en souvenir de Napoléon Bonaparte, le président Macron jette la bombe atomique française dans la balance stratégique, sans plus convaincre. On pourra dire maintenant qu'on a déjà tout vu.

ALSP !

21 avril 2024

L'ours en peluche taché de sang

La France des marches blanches marche sur la tête, autant que se consume la France des bougies et lumignons. Cette extraversion de la compassion publique participe de l'empoisonnement de notre société qui n'en est plus une depuis le blending râté des ingrédients allogènes. Marcher nombreux en pleurant, déposer un bouquet au milieu de beaucoup, se lamenter sur la dureté des temps, l'ensauvagement de jeunes déconstruits si tant est qu'ils le furent un jour, construits, revient à intégrer la chienlit dans notre non-modèle social, à accepter la perversité des codes dits et non dits qui règlent ce qui n'est pas du "vivre-ensemble" mais la compétition des droits que chacun s'octroie, chez soi et au-dehors. Si vous ignorez ces codes, vous êtes en danger de mort dès lors que vous interagissez. Etre en danger ne veut pas dire y succomber mais doit créer une vigilance de tous les instants. C'est un coup à prendre, pour ne pas prendre de coups.

Les bandits de grands chemins sans aveu, foi ni loi ont existé dans le passé. Les villes ayant recouvert les chemins, se sont approprié les bandits qui y traînaient. On les jugeait, on les pendait s'ils avaient pris la vie. Mais aujourd'hui on les "comprend", on les explique, on les réinsère et les fourches patibulaires ont été retirées des collines de penderie au désespoir des freux. Combien prendront les barbares de Grande-Synthe qui ont lynché Philippe Coopman pour le plaisir ? N'entrons pas dans ce débat à peine d'oublier la victime pour aménager l'avenir de ses assassins. "Abolir la peine de mort ? Que messieurs les assassins commencent !" déclamait un ténor du barreau à la Chambre des députés quand était débattue la loi Badinter au motif novateur que la peine capitale violait le "droit fondamental à la vie" de tout un chacun, et que les juges ramollis ne pouvaient plus se raser dans la glace le matin. Les lamentations au pupitre d'alors étaient le parangon du tragique de scène. Quelqu'auteur de boulevard aurait pu en faire une pièce courue. A ma connaissance, nul n'a finalement osé. Mais si la Justice manque à sa raison d'être, la justice en minuscule se fait tout de même car elle est essentielle au peuple. On l'appelle vendetta clanique en pays latin, crime d'honneur dans les montagnes d'Asie centrale, regulator en Amérique. Si la décrépitude de la Justice d'Etat s'accentue, naît alors une justice parallèle sur le modèle caïdal qui est acceptée dans son ressort à défaut de mieux. Nous voyons de temps à autre les prémices de cette substitution naturelle dans des territoires abandonnés par la sociologie officielle. Le bond en arrière est phénoménal quand il s'agit d'emplir le vide institutionnel d'un codex disponible sur étagère comme la Charia. Voleurs, comptez vos doigts ! L'autre code en rayon est celui de la pègre...
Parents, mettez vos gosses aux arts martiaux !

Atterissons donc ! La liste des morts sous attaque d'autrui est tellement longue pour les douze derniers mois qu'on en vient à les confondre. Rien ne pourrait les avoir protégés, ni leur âge, ni leur peau, ni leur condition sociale. On ajoute à leur nom celui de leur ville pour mieux les cerner mais parfois, comme à Marseille, il y en a trop pour les distinguer vraiment. On sait aujourd'hui que les assassins se déplacent en bande, comme les étourneaux, et malheur à qui les croise à la mauvaise heure. On sait aussi qu'ils viennent d'ailleurs sur contrat - ça s'appelle des tueurs à gages - et qu'ils sont professionnalisés, au sens où ils anticiperont toujours votre réaction. Si nous n'en mourrez pas toujours on the spot, vous passerez aux urgences, voire y finirez. Survivant, vous aurez peut-être la satisfaction d'apprendre que la déposition a été bien remplie avec tous les détails et que l'affaire va suivre son cours. Que cela ne vous incite pas à ressortir dans les mêmes conditions de dénuement, aux mêmes heures, réfléchissez avant de vivre ! Les gens des fauteuils d'orchestre qui regardent le spectacle du monde de non-droit savent d'expérience qu'il n'y a aucun remède au délitement social savamment entretenu par les sociologues en recherche d'un homme neuf à refaire, sauf à ouvrir le feu. Le retour d'une autorité indiscutée d'un Etat pieds au sol est l'incontournable sine qua non d'un espoir de revoir dans notre pays la paix des rues et des chemins. D'ailleurs, l'abattage des menaces explicites en voirie par les forces de l'ordre qui n'ont plus le temps de se poser les dix questions du manuel, simplifie grandement le contrôle social nécessaire aujourd'hui. Le Miroir d'eau de Bordeaux en est l'exemple le plus récent : dans le doute, je tire ! Devra-t-on appliquer aux fours la loi de Duterte d'extinction instinctive ? Revenir au moins aux fondamentaux des sociétés humaines, Décalogue et Talion. Faute de quoi, la loi dominante sera la loi de la jungle. Quelqu'un me tape sur l'épaule pour me dire qu'après onze heures certain soir on y est déjà.

ALSP !

14 avril 2024

Rallye conardos

Le président Le Lay de TF1, grand brûlé de l'Audimat, avait un jour redéfini son poste chez Bouygues en développant complètement sa mission quand il affirma que...

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. Rien n'est plus difficile que d'obtenir cette disponibilité. C'est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l'information s'accélère, se multiplie et se banalise. La télévision, c'est une activité sans mémoire. Si l'on compare cette industrie à celle de l'automobile, par exemple, pour un constructeur d'autos, le processus de création est bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer. Nous, nous n'en aurons même pas le temps ! Tout se joue chaque jour, sur les chiffres d'audience. Nous sommes le seul produit au monde où l'on "connaît" ses clients à la seconde, après un délai de vingt-quatre heures. » (source : Nouvel Obs)



La course à l'audience à tout prix est aujourd'hui générale depuis le lancement sur les ondes des chaînes d'information en continu. L'actualité des représailles iraniennes sur Israël après le bombardement de leur consulat de Damas a réuni sur les plateaux telévisés tous les experts disponibles qui n'étaient pas encore partis tondre le gazon de leur maison en Normandie. Fair-play cette fois, reconnaissons-le, les mollahs de la grande république islamique ont publié les détails de l'attaque de samedi soir en même temps que les drones décollèrent. Leur volonté manifeste était de marquer le coup, même si les cibles ne pouvaient être à l'avance annoncées. D'ailleurs les Israéliens se continrent dans les limites de la raison gardée en fermant leur espace aérien un heure après le départ des vecteurs ; puis en réunissant leur cabinet de guerre pour faire une photo à destination des journaux. Américains et Français avaient déjà mis en l'air les moyens de traçage des trajectoires pour produire des hypothèses de points de chute. Il s'avèrera au matin que certains drones sont parvenus à traverser le dôme de fer qui protégeait une base aérienne dans le désert du Néguev. Téhéran annonça officiellement que son opération était terminée. Fin de la séquence... Pub !

Mais que non. Beaucoup de bruit encore ce matin sur les chaînes en continu avec appel des reporters et correspondants sur place, ce qui était quand même bien inférieur au psychodrame que voulurent endurer les téléspectateurs des mêmes chaînes samedi soir. Au fait, il y a un bouton en bas à droite de l'écran plat qui coupe. Toujours à la pointe, LCI (TF1) sous la férule alarmiste de Darius Rochebin, parvint au fil de la soirée à construire les emboîtements conduisant inexorablement à la Troisième Guerre mondiale. Et chacun des invités d'en remettre une couche pour maintenir la tension à l'extrême, les uns glosant sur la vantardise d'un état-major iranien commandant, hormis leurs missiles, des unités juste bonnes à la parade ; les autres parlant d'allumer les proxies habituels en complément de l'assaut principal pour saturer l'espace aérien d'Israël et permettre de plus grandes dévastations des zones résidentielles, comme en Galilée sous le feu du Hezb. En réplique de quoi, Tsahal irait détruire les usines atomiques d'Iran après avoir été ravitaillé par l'US Airforce, déclenchant ce que vous attendez tous... pub !

Et la Russie en Ukraine ? Avec quoi va-t-elle bombarder les HLM d'Odessa sans les Shahed si Téhéran les garde pour foutre sur la gueule à l'Entité sioniste ? La dernière fois que j'ai vu sourire un bédouin de Palestine, c'est quand Saddam Hussein lui envoya les scuds. Bref, c'est la guerre pour tous, chère Médème ! Ce matin, le complexe pétrochimique de Haïfa n'a pas été vitrifié par l'Iran avec les dommages collatéraux immenses attendus en répétition de l'explosion de Beyrouth, et les plateformes offshore n'ont rien vu. Les connards mobilisés depuis 6 heures du mat pour le fil info craignent de devoir tourner en rond toute la journée pour vivre sur une information déjà morte. Meubler ? Avec quoi ? On a déjà tout fait, Gaza se meurt, Emile Soleil enfin retrouvé, Zakaria Tabti suriné, Ahmad Saboor Hamraz abattu au HK à quatre mètres, Geox et sa punition annoncée et j'en passe. Anne Hidalgo en bikini andalou dans la Seine ?
Reste le fou Joel Cauchi à Sydney !
Vous allez vendre ça à CocaCola ?
Pub !

ALSP !

07 avril 2024

Dans ma rue

Avant-propos

Il m'aura fallu dix-huit mois pour liquider mes positions militantes et revenir à Steppique Hebdo. La cadence idéale serait d'un article par semaine, le lundi par exemple, et voici le premier. Un tout petit voyage.

Voyage au bout de ma rue

C'est une rue rare, avec un début et une fin, non qu'elle ne débouche pas mais parce que de quelque bout qu'on la prenne, il faut vouloir y entrer en quittant la circulation naturelle le long du fleuve.
C'était jusqu'après-guerre un mauvais chemin desservant les jardins sous la falaise, parallèle au chemin de halage qui sera plus tard reconverti en quai. En fin de carrière, les bateliers à la retraite achetèrent ces jardins loin de la ville et du confluent pour se mettre à terre en vendant leur bateau. Ils y bâtirent de petites maisons dans lesquelles ils ne se perdraient pas et aménagèrent l'espace extérieur en potager devant et d'agrément derrière, avec parfois une tonnelle à treille au midi. Puis leurs enfants agrandirent l'habitation pour y faire entrer un conjoint. Il reste peu de vestiges de cette époque, le foncier ayant été rebâti plusieurs fois depuis lors.

Le quai étant inondé à chaque crue et la route barrée par les planches d'accès aux bateaux accostés montés en haut des ducs d'albe, les édiles eurent la bonne idée de recarrosser le chemin des jardins élargi à huit mètres en le rehaussant de 90 centimètres pour le mettre hors d'eau. Puis au fil du temps il devint une rue avec ses viabilités - quoique l'égout communal soit récent - des trottoirs et un éclairage public. Mais sa conformation dans l'espace, coincé entre falaise et fleuve, en fait une rue à part. Les gens qui l'habitent sont un peu à part aussi. Comme moi.

Déjà nous nous connaissons tous grâce au repas de rue, géniale invention qui crée un sens de circulation en se disant bonjour.

Cette rue a une particularité : chaque deux maisons on a vu, voit et verra un cas de cancer. Et en trente ans une maison sur trois, un mort. Ça crée une certaine ambiance, primesautière et détachée des désagréments de cette vallée de la Géhenne. Bien que le sang y soit toujours majoritairement de souche, on y remarque aussi des races de toute la planète et toutes les confessions, même des Antoinistes, c'est dire. Mais la plus répandue est l'agnosticisme parce qu'on ne se pousse pas du col jusqu'à s'en croire. Les quatre cinquièmes des habitants sont propriétaires, même les noirs (2) et les arabes (6). Les derniers arrivés sont évadés des quartiers populaires de la petite couronne parisienne (la fameuse ceinture rouge) et ne passent pas un jour sans apprécier le bonheur de l'exil et de n'avoir pas à nourrir un chien de soixante kilos.

Sinon que vous dire de plus ? Il y a des Dacia garées dehors comme partout ; mais aussi un V8 dont le conducteur prend un pied phénoménal à s'écouter passer en rentrant de l'usine le soir.

Ma voisine m'a donné sa recette de la tarte aux grenades de la rue (elles sont chez moi) ; d'ailleurs il y a tout dans cette rue en fruits rouges et noirs, même des figues et du raisin en sus des cerises, des mûres et des kakis. A tel point qu'un voisin un peu crédule a planté un bananier mais attend toujours les régimes. Et chaque année je cueille des morilles pour l'omelette. Enfin le voisin d'au-dessus me fait un prix sur son miel puisque ses abeilles butinent mes fleurs jamais traitées. Voici la recette de la tarte. La voisine est à la retraite donc elle complique un peu mais à la fin c'est quand même très bon :

Elle m'a prévenu que le plus dur à faire c'est la pâte.

Se laver les mains au savon de Marseille.
Malaxer à la spatule en bois une plaquette (125g) de beurre doux brisé en morceaux dans un bol à touiller.
Mélanger dans un autre bol et dans l'ordre 30g de poudre d'amandes dans trois fois de sucre glace, saler un peu.
Ajouter au mélange sec les grains d'une gousse de vanille, bien mélanger, puis casser un gros œuf avant d'ajouter la farine (220g).
Mélanger les deux bols et malaxer sans fin !
Saisir le mélange plastique et en faire une boule qu'on va aplatir entre les paumes de la main en faisant tourner comme un pizzaïolo.
Envelopper la pâte formée dans un film transparent et la mettre deux heures au frigo.

Faire une pommade de beurre avec une plaquette et demi de beurre doux (200g) débitée en tranches dans une casserolette sur la plaque électrique position 2 à la cueillère de bois. Réserver au chaud sur la position 1.

Passer à la confection de la sauce grenadière.

Laver les grenades et les couper en deux par le milieu pour en extraire tout le jus au presse-citron. Il faut en faire deux cents grammes. Ceux qui ont un presse-citron électrique apprécieront.
Tamiser le jus dans une casserole, y casser deux œufs, rajouter 150g de sucre fin, le jus d'un citron jaune et battre au fouet à feu très doux continûment comme vous monteriez une mayonnaise. Ne pas inverser le sens, ne pas accélérer ni ralentir. Ne pas surchauffer.
Quand le mélange est onctueux et autour de 60°C (tremper le petit doigt) le verser dans un bol à touiller et lui rajouter le beurre en pommade en remuant jusqu'à complète disparition.Laisser refroidir puis mettre au frigo filmé.

Sortir la pâte et l'abaisser sur la planche farinée pour former un cercle de trois millimètres d'épaisseur ; puis la poser dans le moule à pâtisserie sur du papier de cuisson, bien former les bords et remettre au frigo un moment.

Préchauffer le four à 200°C pendant dix minutes.
Sortir le moule du frigo et y verser le sac à billes de verre de votre gamin, préalablement lavées. Enfourner pour vingt minutes à 180°C.
Sortir le moule chaud et ôter les billes puis remettre à cuire cinq minutes. Sortir le moule et laisser refroidir pour dégager facilement la tarte.

Au moment de servir, verser la sauce grenadière dans la tarte et bien étaler à la spatule.
Si vous avez le temps et une grenade de reste, en extraire les grains rouges (pas les blancs) et en parsemer la tarte pour sa décoration. C'est fini.
Bon appétit.

NB : La qualité du beurre est importante et sans aller chercher un beurre concours, privilégiez un beurre de laiterie normande nature (non trafiqué).

Ça c'est fait. Je ne vous ai pas dit : nous sommes sur le 49è parallèle, Roissy-en-France aussi, et par vent d'est... mais c'est plus souvent de la Manche qu'il vient avec une odeur de sel. Je ne vous ai pas dit non plus qu'à la période copulatoire nous sommes survolés par de grands cygnes blancs à la voix éraillée et qu'à la migration, passent les grues en vé par centaines dans l'axe du fleuve. A trente minutes de la Porte Maillot ! Je retourne à ma bêche.

ALSP !