12 mai 2024

Un certain 13 Mai

Ce lundi c'est la Sainte-Rolande mais aussi le 13 mai. Le 13 mai 1958 c'était la fête de l'Algérie française (ti ti ti ta ta). Que sont devenus les trois départements que nous avons dû laisser à la marche de l'histoire, comme on disait alors pour ringardiser notre présence au sud de la Méditerranée ? Ils sont retournés au néant d'où nous les avions tirés. Mais il vaut mieux croire un expert qu'un blogueur quand cette année viendra nous visiter le président Tebboune pour nous dire tout ce que nous avons encore à faire pour accéder à sa considération.

C'est dans le défunt quotidien Liberté-Algérie qu'en 2021 Kamel Daoud* s'interrogeait sur le phénomène des harraga, حراقة en arabe (dit autrement : l'exode d'une jeunesse désespérée) et cette analyse mérite qu'on lui laisse plus de chance sur la toile parce que tout milite pour l'amplification de cette migration. En voici le texte intégral et le lien de la source, toujours en ligne. Le propriétaire du journal, Issad Rebrab, qui avait décidé de le fermer au moment de sa propre retraite, a eu envers son équipe éditoriale l'élégance de tout laisser en ligne en l'état. Sur l'Algérie tout y est dit. Doit-on s'en réjouir ? Pas sûr !

Qu'on l'aime un peu, beaucoup ou pas du tout, l'Afrique du nord française est le partenaire obligé des trois pays latins de Méditerranée. L'empreinte française y est la plus profonde qui alimente les communautés algériennes de France (sous le statut spécial de 1968, révisé en 1975), ou les communautés marocaines, comme dans une moindre mesure les Tunisiens plus individualistes. Les dérives autoritaires à Alger et à Tunis amplifient un exode naturel porté par une démographie non maîtrisée rapportée aux capacités d'emploi. Même le Maroc qui a pris le parti d'un développement lourd, n'échappe pas à ce drainage vers l'Europe où ses ressortissants s'installent comme chez eux dans un tissu économique national déjà ancien. C'est dans ce cadre inadapté aux attentes du grand nombre des moins-instruits que la grisaille d'une société algérienne régentée par un salafisme antédiluvien sans projet, se déverse dans les mentalités de la jeunesse en quête d'ailleurs. Et tout laisse croire que cet exode ne se tarira pas, bien au contraire, à cause de l'africanisation de notre espace économique. Le constat de Kamel Daoud est désespérant, pour la jeunesse algérienne d'abord, mais il y a chez nous de beaux exemples d'accomplissement d'une vie meilleure qui étaient inimaginables là-bas. Doit-on couver jalousement notre bonheur ? Les travaux et les jours de notre beau pays nous signalent quotidiennement qu'il n'est plus possible de faire sans eux : ils sont partout comme les Mexicains de Californie ; dans les échoppes, les garages, les boulangeries, au cul des bennes, devant les armoires à fibre, sur les chantiers de plein vent, dans les hôpitaux, et comme chauffeurs-livreurs, gendarmes ou profs de fac et finalement petits et grands patrons. La messe est dite.


Le Pays se vide à cause du vide


Comment fabriquer du sens en Algérie ? Donner du sens au fait d’y rester, vivre, prendre racines et maison. Le religieux ? Il accorde, coûteusement, du sens à la patience, à la résignation, à la défaite sublimée. L’Au-delà est ce qu’on cherche à habiter et vivre quand on n’a pas de vie et de foyer “ici”. C’est une victoire par la mort, pas par la vie. Le paradis est, toujours, le contrepoids de nos échecs et de nos déserts. Il faisait rêver les plus âgés, il fait aujourd’hui rêver même les plus jeunes, et c’est une tragédie, un déboisement du monde, une falsification du réel. Le paradis, on peut y croire et l’espérer, mais chercher à en déménager au plus vite prouve surtout l’échec à habiter le monde et à le construire. Le religieux est un choix, mais un pays est un effort. Alors, qui peut donner du sens ? La mer ? La mer qu’on escalade comme un mur tombé, la mer qui promet un autre paradis, lui aussi peuplé de nos échecs inversés, de nos espoirs transférés ? La mer, c’est un peu la mort avec l’Europe en guise de paradis. Un gilet orange, une chaloupe, un moteur doublé d’un cœur en colère, une boussole, et voilà la vie débordant de sens et de risques et d’écumes, redevenue palpitante, belle et terrible, chargée d’illusions essentielles et de déceptions utiles. La mer donne du sens, mais elle vide le pays, arrache la racine et vous projette contre un mur étranger. Vous vous éparpillez en mille graviers ou vous vous reconstituez sur les bords d’une amertume intime. La mer siphonne l’Algérie, la creuse comme un trou, l’aspire. La mer est une patrie par défaut, si brève sous le pied. Car, pourquoi avoir libéré cette terre si c’est la mer qui donne sens à la vie ? Il faut être jeune, volontaire, aveugle et ardent pour tenter de trouver le sens de la vie dans la mer. Ce n’est pas fait pour tout le monde. C’est une autre forme de fatalisme, une vie par le biais de la noyade et l’exil qui est une mer intérieure encore plus saline.

Alors, où trouver le sens de vivre en Algérie ? Certains évoquent, pour justifier le choix de “rester”, le devoir d’assister une mère malade, un père vieillissant. D’autres vous confessent la lassitude anticipée face à l’exil qui mord, l’effort à faire pour refaire le monde à partir de la mi-vie, l’âge ou l’entêtement à cause d’un palmier ou d’une fatigue. L’espoir, cette fois, est vraiment fou et s’arrache les vêtements. D’autres encore peuplent le vide par des épopées : militantismes, activismes politiques, “luttes” dopées et oppositions folklorisées, ego ou foi. On peut y croire, mais il s’agit de divinités molles, affaiblies et de croyances parfois artificielles. Ou seulement mal comprises : la cause est sublime, son effet est un calcul ou une impasse, une colère encore plus grande.

On peut aussi voler du sens aux morts et en usurper la valeur : se faire passer pour des ancêtres anciens, nouveaux, des martyrs de la décolonisation ou même d’avant, des Allah ou des oliviers piétons. Jouer au chahid vivant, vétérans, tuteurs et gardiens du pays. Une mystique froide, que la morgue, l’âge, l’uniforme et les flibusteries des survivants de la guerre ont épuisés. Ça suffira pour le discours officiel, la convention du patriotisme ou pour haïr la France, mais pas au-delà. Il suffit, en fin de jour, de regarder ses enfants, de rêver leur avenir, et déjà tout s’écroule de nos convictions trop pompeuses. “Un pays, ce n’est pas un drapeau, mais l’endroit où l’on souhaite voir vivre ses enfants.” Je me répète, à dessein.
Alors, où trouver du sens ? C’est justement ce qui manque en Algérie : la réponse sincère au “pourquoi dois-je y vivre ?” Question du sphinx affaissé des cafés et des murs. “Durant les années de la guerre, en 1990, on avait envie de rester, lutter, résister”, confirme un ami. Aujourd’hui, la mort n’est pas un barbu, mais le temps lui-même.

Aujourd’hui, l’Algérie manque de sens, est lasse, comme vidée d’un os essentiel. Le sens n’est plus incarné par une élite, fabriqué autrement que par de vieux hadiths et une grande mosquée, et illustré par une chaloupe ou un score de football et la haine du juif. C’est un pays que, souvent, on quitte sans fin. “Je quitte sous peu”, vous affirme un ami au bout de cinq minutes de silence. Une autre famille l’a déjà fait. Un vieillard prend la mer comme une épouse. Une femme avec un enfant embrasse l’inconnu. Est-ce pour le pain ? Le toit ? La sécurité ? Non. Juste le sens. C’est cette absence essentielle que ni la haine de la France ou du Maroc, ni la prière ou le foot, ni la Palestine fantasmée ou la subvention alimentaire ne peuvent remplacer. Il y a même, et c’est triste de le dire, quelque chose de “libyen” dans l’Algérie d’aujourd’hui. Un non-sens, un effondrement intime, un émiettement dangereux. Comment y parer ? La culture réelle (et pas le folklore), la liberté en urgence, celle de dessiner, aimer, toucher, embrasser, respirer ; la nécessité de trouver du sens en dehors de l’épopée d’un prophète ou de la guerre de décolonisation.

L’Algérie est un pays ennuyeux, gris, plus triste qu’un coucher de soleil dans une caserne, sans épopée, sans plaisir, enfermé dans un au-delà religieux et un en-deçà décolonial, aplati comme un tapis de prière, debout comme un acacia. C’est ce qu’on ne veut pas comprendre : le bonheur n’en est pas un but, mais presque un péché. On y quête seulement le pouvoir ou le paradis. Et avec cela, on ne retiendra jamais nos enfants. Seulement une armée d’imams et de martyrs pour lester nos hésitations.
Le pays se vide à cause du vide.

K.D.



url : https://www.liberte-algerie.com/actualite/le-pays-se-vide-a-cause-du-vide-365482
date : 23/09/2021

*Kamel Daoud est né à Mostaganem il y a 54 ans. Ecrivain et essayiste renommé, il a commencé au Quotidien d'Oran puis a remporté divers prix et récompenses. Contributeur régulier de Liberté-Algérie puis du Point, il est connu pour regarder l'islam en face sans baisser les yeux (comme Boualem Sansal) et jusqu'à l'an dernier vivait toujours à Oran malgré la fatwa de l'imam salafiste Zeraoui qui appelle les autorités à sa condamnation à mort depuis dix ans. Mais cette année, il s'est installé à Paris pour assurer ses cours à SciencesPo. La Wikipedia vous dira tout ce que vous vouliez savoir sans jamais oser le demander (clic).

ALSP !

D'un désert l'autre, Dune 2

Second billet de cette semaine, un peu dans le ton du premier.
J'ai vu Dune 2. C'est un film pour ado très réussi, qui intéressera tout le spectre des spectateurs achetant leur ticket. Sans préparation c'est un bon film avec une photographie superbe, due à Greig Fraser et une trame qui tient la route. Avec un peu de préparation sur l'argument de Frank Herbert, c'est un film bien meilleur. Si les héros, Paul et Chani, ne sont pas tout à fait crédibles dans la mission originale, trop tendres, trop jeunes, on se laisse vite prendre à les accepter dans leur destin car la caméra nous emporte dans un monde si différent du nôtre qu'on en oublie les codes courants. Chani plus que Paul. Je pense que ce choix est un parti-pris de Denis Villeneuve qui s'adresse à un public plus jeune que la moyenne du box-office.

Un ami qui est allé le voir en salle m'a dit s'être agacé par le fond d'écran islamique et les nombreux emprunts à la civilisation arabe. C'est par contre un parti-pris de Frank Herbert qui n'avait sous la main de vendable à tous que la construction mythologique du riche évangile chiite avec massacres, guerres, usurpations et retour de l'imam caché. Pour sûr qu'il déplaira à Téhéran pour n'être pas orthodoxe parfaitement, mais quand il écrivit la saga d'Arrakis, l'auteur ne connaissait pas encore l'ayatollah Khomeini. Sur l'empreinte islamique dans l'oeuvre littéraire de Herbert, il y a d'épaisses thèses dont je vous fais grâce. Mais sur l'écran, il faut prendre l'histoire au premier degré avec sa dose d'exotisme pour un public américain et tout se passe bien.

L'intrigue est résumée par le Huffington Post (clic) : « Dans le premier long métrage adapté de la première moitié du premier roman de la saga littéraire de Frank Herbert, on assiste à la genèse d’un héros. Paul Atréides accompagne ses parents, le Duc Leto et Dame Jessica, sur la planète Arrakis et quitte à regret sa maison sur Caladan. Le Duc s’est vu confier par l’empereur l’exploitation de l’Épice. Cette denrée très rare qu’on ne récolte que sur Arrakis est essentielle à l’Empire, car elle permet notamment les voyages interstellaires.
Mais il ne s’agit pas d’un cadeau de la part de l’Empereur, bien au contraire. En effet, les précédents exploitants et maîtres d’Arrakis, les Harkonnen, ne l’entendent pas de cette oreille. Le clan dirigé par le terrifiant baron Vladimir et son neveu, le musculeux et impitoyable Glossu Raban sabotent les machines servant à l’exploitation, et organisent un complot pour anéantir les Atréides. Les Harkonnen enlèvent la femme du docteur Yueh pour faire de lui un traître envers les Atréides. Puis attaquent le palais.
Le Duc meurt durant l’assaut en tentant de tuer le baron. Paul parvient, lui, à s’enfuir avec sa mère grâce à l’aide de Duncan Idaho, guerrier fidèle aux Atréides, du maître d’armes Gurney Halleck et du docteur Liet-Kynes. Mais les Harkonnen sont tenaces et parviennent à retrouver les survivants. Dans leur fuite éperdue, Paul et Jessica se retrouvent finalement seuls dans le désert, un lieu hostile et dangereux en raison de la présence de vers géants. Ils sont alors recueillis par le peuple Fremen et font la rencontre du chef Stilgar et de la guerrière Chani.
Parallèlement à ces péripéties, Paul doit aussi faire face à des visions. Le jeune homme voit en rêve des évènements qui ne sont pas encore arrivés. Il connaît par exemple déjà Chani avant même de l’avoir rencontrée. En effet, sa mère, ancien membre de l’ordre des Bene Gesserit, pense qu’il est une sorte de messie, le "Lisan al Gaib". Et elle n’est pas la seule. C’est d’ailleurs avec ce surnom que l’accueille le peuple d’Arrakis.
Les spectateurs ont donc quitté un jeune homme meurtri par la mort de son père, assoifé de revanche et perturbé par des visions qu’il ne maîtrise pas. Paul va devoir apprendre à vivre dans le désert, en communion avec lui et avec les vers géants, afin d’accomplir ce que beaucoup pensent être sa destinée.


Le réalisateur a cherché à coller le plus possible au livre de la saga : « C'est ainsi que le livre finit. Le livre Dune se termine avec le début de quelque chose qui est hors de contrôle, et je trouvais que c'était une fin très puissante. J'ai le sentiment que les deux films complètent l'adaptation du livre, et je me sens bien à ce sujet.» (D. Villeneuve à Vanity Fair).

Léger reproche et j'en termine : au montage, le réalisateur s'est parfois laissé endormir par l'esthétique exceptionnelle de la photographie et s'y est attardé plus que de raison. En résumé, un très bon film tout public de la classe d'un Star Wars. Pour la plastique, Zendaya Coleman tient la route et d'autres en ont convenu, comme ici.

Le film s'approche du milliard de dollars d'entrées contre quatre cent huit millions pour Dune 1 ; à ce tarif, la suite est prévisible sinon annoncée.

05 mai 2024

Dans ma ville

Le galet que je lance fait des ronds dans l'eau et j'en prends le second.
Pourquoi là ? C'est une longue histoire inintéressante qui naquit au pays des bateaux, là où ils se construisent, et j'en fis.

Quand j'y mis pied à terre, le quai était rayé de rails qui lançaient les coques sur les slips. Tout du long on savait réparer les moteurs navals de toute taille, comme construire des générateurs ancillaires. Et au plateau, on avait fabriqué des câbles de télécommunication pour tout le pays (LTT). Prestige de la place industrieuse vs. zébulon logorrhéique. C'est l'histoire d'un parti politique cotisé par des profs qui s'empara d'une municipalité pour la combler de dettes en faisant pisser le jus de la treille dans les caisses du parti puisqu'il n'avait que celle-là. Grand agité en sciences politiques pour les nuls, le maire devint le premier ministre d'un président catho-pétainiste reconverti en sauveur bigame des damnés de la terre ; une vraie pièce de théâtre qu'aucun dramaturge n'avait osé écrire ! Moins qu'aujourd'hui certes, mais quand même. Douteriez-vous qu'on y parle de taxe, de La Taxe, la taxe foncière héritée du défunt premier ministre agité ? Eut-il survécu qu'on l'aurait bien collé au mur des comptes rendus !

Sous l'Ancien régime, les consuls élus par les chefs de feux de la ville voyaient leurs biens séquestrés durant leur mandat d'un an. Main-levée était donnée sous quitus de fin de mandat. Sans chichis. Que n'a-t-on gardé la coutume ! Ah ! J'oubliais que nous sommes passés du régime tyrannique à celui de la vertu où ne peuvent vivre les Médecin, Mouillot, Carignon, Bédier, Balkany, Masdeu-Arus et autres Sieczkowski-Samier... pour les quelques-uns qui se sont fait chopper. La foi en la mort chevillée à l'âme, Toto Riina vivait pour Cosa Nostra dans une bergerie à moutons. Où vit Jean-Paul Du Pas dans ses principes républicains ?

Jeudi 2 mai, la sirène communale a retenti à midi comme chaque premier jour du mois. C'est la sirène d'alerte aérienne qui sert aussi pour les incendies. Nous avons en plus une sirène Seveso de l'autre côté du fleuve. Comment ne pas penser à ce moment aux villes ukrainiennes où la sirène retentit presque chaque jour, pour des raisons graves parce que la mort approche. Le président Zélensky a ouvert une cagnotte de crowdfunding qui sert à fabriquer (entre autres) des drones navals. Si vous avez cinquante euros qui traînent, ne les en privez pas. C'est facile par carte bancaire en cliquant ici sans se poser de question.

Ça y est ! La ville a mis cent ans à s'apercevoir qu'elle pouvait valoriser la rive opposée du fleuve qui lui appartient. Rats géants à bouffer des chats et fouines grises qui infestent le talus n'ont jamais payé de loyer. Demain, Venise ? Les paquebots fluviaux y escalent déjà. Ne restent plus qu'à commander les gondoles au chantier voisin pour traverser. Je peux fournir les plans. J'en partirai.

ALSP !