07 avril 2024

Dans ma rue

Avant-propos

Il m'aura fallu dix-huit mois pour liquider mes positions militantes et revenir à Steppique Hebdo. La cadence idéale serait d'un article par semaine, le lundi par exemple, et voici le premier. Un tout petit voyage.

Voyage au bout de ma rue

C'est une rue rare, avec un début et une fin, non qu'elle ne débouche pas mais parce que de quelque bout qu'on la prenne, il faut vouloir y entrer en quittant la circulation naturelle le long du fleuve.
C'était jusqu'après-guerre un mauvais chemin desservant les jardins sous la falaise, parallèle au chemin de halage qui sera plus tard reconverti en quai. En fin de carrière, les bateliers à la retraite achetèrent ces jardins loin de la ville et du confluent pour se mettre à terre en vendant leur bateau. Ils y bâtirent de petites maisons dans lesquelles ils ne se perdraient pas et aménagèrent l'espace extérieur en potager devant et d'agrément derrière, avec parfois une tonnelle à treille au midi. Puis leurs enfants agrandirent l'habitation pour y faire entrer un conjoint. Il reste peu de vestiges de cette époque, le foncier ayant été rebâti plusieurs fois depuis lors.

Le quai étant inondé à chaque crue et la route barrée par les planches d'accès aux bateaux accostés montés en haut des ducs d'albe, les édiles eurent la bonne idée de recarrosser le chemin des jardins élargi à huit mètres en le rehaussant de 90 centimètres pour le mettre hors d'eau. Puis au fil du temps il devint une rue avec ses viabilités - quoique l'égout communal soit récent - des trottoirs et un éclairage public. Mais sa conformation dans l'espace, coincé entre falaise et fleuve, en fait une rue à part. Les gens qui l'habitent sont un peu à part aussi. Comme moi.

Déjà nous nous connaissons tous grâce au repas de rue, géniale invention qui crée un sens de circulation en se disant bonjour.

Cette rue a une particularité : chaque deux maisons on a vu, voit et verra un cas de cancer. Et en trente ans une maison sur trois, un mort. Ça crée une certaine ambiance, primesautière et détachée des désagréments de cette vallée de la Géhenne. Bien que le sang y soit toujours majoritairement de souche, on y remarque aussi des races de toute la planète et toutes les confessions, même des Antoinistes, c'est dire. Mais la plus répandue est l'agnosticisme parce qu'on ne se pousse pas du col jusqu'à s'en croire. Les quatre cinquièmes des habitants sont propriétaires, même les noirs (2) et les arabes (6). Les derniers arrivés sont évadés des quartiers populaires de la petite couronne parisienne (la fameuse ceinture rouge) et ne passent pas un jour sans apprécier le bonheur de l'exil et de n'avoir pas à nourrir un chien de soixante kilos.

Sinon que vous dire de plus ? Il y a des Dacia garées dehors comme partout ; mais aussi un V8 dont le conducteur prend un pied phénoménal à s'écouter passer en rentrant de l'usine le soir.

Ma voisine m'a donné sa recette de la tarte aux grenades de la rue (elles sont chez moi) ; d'ailleurs il y a tout dans cette rue en fruits rouges et noirs, même des figues et du raisin en sus des cerises, des mûres et des kakis. A tel point qu'un voisin un peu crédule a planté un bananier mais attend toujours les régimes. Et chaque année je cueille des morilles pour l'omelette. Enfin le voisin d'au-dessus me fait un prix sur son miel puisque ses abeilles butinent mes fleurs jamais traitées. Voici la recette de la tarte. La voisine est à la retraite donc elle complique un peu mais à la fin c'est quand même très bon :

Elle m'a prévenu que le plus dur à faire c'est la pâte.

Se laver les mains au savon de Marseille.
Malaxer à la spatule en bois une plaquette (125g) de beurre doux brisé en morceaux dans un bol à touiller.
Mélanger dans un autre bol et dans l'ordre 30g de poudre d'amandes dans trois fois de sucre glace, saler un peu.
Ajouter au mélange sec les grains d'une gousse de vanille, bien mélanger, puis casser un gros œuf avant d'ajouter la farine (220g).
Mélanger les deux bols et malaxer sans fin !
Saisir le mélange plastique et en faire une boule qu'on va aplatir entre les paumes de la main en faisant tourner comme un pizzaïolo.
Envelopper la pâte formée dans un film transparent et la mettre deux heures au frigo.

Faire une pommade de beurre avec une plaquette et demi de beurre doux (200g) débitée en tranches dans une casserolette sur la plaque électrique position 2 à la cueillère de bois. Réserver au chaud sur la position 1.

Passer à la confection de la sauce grenadière.

Laver les grenades et les couper en deux par le milieu pour en extraire tout le jus au presse-citron. Il faut en faire deux cents grammes. Ceux qui ont un presse-citron électrique apprécieront.
Tamiser le jus dans une casserole, y casser deux œufs, rajouter 150g de sucre fin, le jus d'un citron jaune et battre au fouet à feu très doux continûment comme vous monteriez une mayonnaise. Ne pas inverser le sens, ne pas accélérer ni ralentir. Ne pas surchauffer.
Quand le mélange est onctueux et autour de 60°C (tremper le petit doigt) le verser dans un bol à touiller et lui rajouter le beurre en pommade en remuant jusqu'à complète disparition.Laisser refroidir puis mettre au frigo filmé.

Sortir la pâte et l'abaisser sur la planche farinée pour former un cercle de trois millimètres d'épaisseur ; puis la poser dans le moule à pâtisserie sur du papier de cuisson, bien former les bords et remettre au frigo un moment.

Préchauffer le four à 200°C pendant dix minutes.
Sortir le moule du frigo et y verser le sac à billes de verre de votre gamin, préalablement lavées. Enfourner pour vingt minutes à 180°C.
Sortir le moule chaud et ôter les billes puis remettre à cuire cinq minutes. Sortir le moule et laisser refroidir pour dégager facilement la tarte.

Au moment de servir, verser la sauce grenadière dans la tarte et bien étaler à la spatule.
Si vous avez le temps et une grenade de reste, en extraire les grains rouges (pas les blancs) et en parsemer la tarte pour sa décoration. C'est fini.
Bon appétit.

NB : La qualité du beurre est importante et sans aller chercher un beurre concours, privilégiez un beurre de laiterie normande nature (non trafiqué).

Ça c'est fait. Je ne vous ai pas dit : nous sommes sur le 49è parallèle, Roissy-en-France aussi, et par vent d'est... mais c'est plus souvent de la Manche qu'il vient avec une odeur de sel. Je ne vous ai pas dit non plus qu'à la période copulatoire nous sommes survolés par de grands cygnes blancs à la voix éraillée et qu'à la migration, passent les grues en vé par centaines dans l'axe du fleuve. A trente minutes de la Porte Maillot ! Je retourne à ma bêche.

ALSP !

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