27 avril 2025

Le petit Gethsémani

La droite dure française reproche au défunt pape François sa dénonciation des obstacles à l'immigration, son indulgence envers les délinquants et son inclination prioritaire vers les pauvres du monde tiers. Ce qu'oublient ses détracteurs est que le "pape noir", né dans l'océan de misère de l'Amérique latine, est dans le sillon des prophéties bibliques et de l'évangile, plein champ. « l'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres » (Esaï 61.1). Si l'Eglise n'est pas une ONG comme le tambourinait SS François, agacé par les affaires caritatives, elle n'en est pas moins condamnée à prioriser les miséreux de l'âme et du corps. Et sans doute le fait-elle assez mal dans un siècle débilité par la sensiblerie générale de sociétés infernales obsédées par leur pouvoir de mort. C'est leur jauge du progrès.
Plus tard...« Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (Marc 2.17). L'Eglise est la maison des pauvres et des pécheurs. Ce qui d'ailleurs explique la réticence des épiscopes à livrer les clercs égarés dans les turpitudes sexuelles célébrées par Roger Peyrefitte. Les exégèses prétentieuses de la presse abonnée au sociétal racoleur ne m'intéressent pas. Que ce pape aimé des humbles repose en paix ! Fin de la note d'actualité.

J'ai commencé l'herbier. Après avoir appris que parmi les mauvaises herbes - celles que je décrète telles - il y a des plantes médicinales qui pourraient apaiser les souffrances de l'âge, j'ai décidé de les identifier. Avec Internet c'est possible si on s'applique un peu. Aujourd'hui la pariétaire de Judée (clic). C'est une plante de mur en pierres sèches qui pousse loin ses racines et forment des tiges translucides dans le rouge clair très cassantes. Les feuilles sont désagréablement adventives et son pollen agressif. La plante est moche et résistante au désherbage. Elle a la particularité d'avoir sur le même pied des fleurs mâles à quatre étamines et des fleurs femelles, ce qui fait qu'elle est éternelle. A quoi sert-elle ?

"La pariétaire riche en mucilage, tanins, flavonoïdes, calcium, nitrate de potassium, silice et soufre, se consomme intégralement. Les feuilles et tiges finement coupées peuvent être consommées crues en salade ou cuites, en gratin ou en soupe. Elle a tenu lieu d’aliment de disette à la première saison. Dans les pharmacopées traditionnelles, elle était réputée pour ses propriétés astringentes, diurétiques, émollientes, et vulnéraires prescrite comme dépuratif et pour traiter certains problèmes urinaires, rénaux et hépatiques" (source Wikipédia).

L'autre "saloperie" des jardins est chez moi la ronce (clic). Espèce d'invasion qui se défend bien surtout si on ne l'a pas vue au moment d'aller couper un rameau dans une haie, une vigne vierge ou dans les buissons de romarin, elle est indestructible par un simple mortel. Evidemment !

L'autre sujet d'observation attentive est l'insecte. Dans un jardin un peu grand non traité, ils pullulent. Il faut s'asseoir et les observer. Il en est de minuscules et complexes à la fois qui sont chacun un univers à leur taille. Admirer la finesse de leurs attachements et la force proportionnelle qu'ils déploient, leur vitesse démesurée sur des parcours incompréhensibles, pour saisir que c'est un petit monde immense et amoral, réglé par l'ADN de chacun et par l'application qu'a mis l'Horloger dans la logique de leurs complications.

Les sociétés d'insectes ont été étudiées avec minutie par des entomologistes fameux comme Fabre de Saint-Léons et l'extraordinaire de leurs travaux laisse comprendre qu'ils feraient les meilleurs sociologues. On devine les préoccupations de la gent minuscule et leurs figures imposées, se nourrir, se reproduire et parvenir à demain. Il en est d'autres plus notables comme les abeilles, guêpes, bourdons et frelons qui peuvent interagir avec le jardinier. Si l'habitude est prise de les respecter dans leurs travaux quotidiens, on s'aperçoit vite qu'ils en font autant. Vous devenez à leurs yeux quelqu'un d'affairé à sa routine, semblable à eux. Je n'ai jamais été piqué et pourtant elles sont nombreuses en compétition les piqueuses en tout genre venues des apiculteurs du plateau ! Ma préférence va à l'abeille charpentière noire vernie aux ailes bleues (clic). Elle vit en couple et reste obsédée par les cavités qu'elle inspecte en continu. Elle vous frôle dans un vrombissement caractéristique et vous ignore tout à la fois. Pour finir, il est quand même des mystères au jardin : à quoi servent les mouches à part dans la diplomatie ?

Ne tuez pas les insectes, comprenez-les et laissez-leur l'aire nécessaire à leur vie. Ne vous imposez pas, il ne se passera rien de fâcheux. C'est le message franciscain du jour. RIP Franciscus ! Qui postea venient, tibi iter bonum optant.

ALSP !

20 avril 2025

Noli me tangere !

Pâques. Parmi les mystères qui hantent toujours le jardin du Golgotha où Jésus de Nazareth s'affranchit jadis de sa vie terrestre, il y a celui du mur de verre entre deux "réalités" désormais séparées, le nouveau corps du Christ ressuscité et celui de Marie Madeleine. Noli me tangere ! dit-il à Marie qui n'en croit pas ses yeux. Le réflexe de toucher son Maître signale une intimité certaine. Mais le phénomène debout devant elle n'est plus "accessible".
Selon les experts, le meilleur tableau de l'instant choisi serait celui de Jan Brueghel (clic). Ce nouveau corps qualifié de "glorieux" par les Pères va errer pendant quarante jours en Palestine pour achever la catéchèse des apôtres ; puis il disparaîtra à leur vue au milieu d'eux.

Ce corps transfiguré n'est pas exactement semblable au corps humain qui l'a précédé, à preuve du nombre de fois où Jésus n'est pas reconnu de ses fidèles les plus proches, à commencer dès le premier jour par Marie Madeleine amoureuse. Il a donc des propriétés supplémentaires comme on en trouverait dans un corps astral ou un corps éthérique. Mais il est la promesse christique de base : lui aussi renaitra du corps ancien que nous abandonnerons. Marion Duvauchel a produit une notice critique très intéressante dont je publie sans son accord un large extrait sur l'ouvrage de Jean-Luc Nancy, Noli me tangere. Essai sur la levée du corps (Bayard Ed.)

« Jean-Luc Nancy décrit cet épisode (Marie Madeleine et le jardinier) comme la scène dans laquelle le Christ "parle, s’adresse et s’en va". C’est une curiosité philosophique que cet essai sur la levée du corps et, donc, sur la question de la résurrection et de sa signification philosophique, doublée d’une réflexion sur la limite entre le visible et l’invisible [...]

« Comme l’a vu Jean-Luc Nancy, il s’agit bien du statut du corps et du corps "glorieux". Mais c’est ici que le philosophe manque, et de loin, la réalité des concepts théologiques : "Le corps glorieux [dit-il], est un corps brillant de l’éclat de l’invisible". Certes, c’est un des éléments constitutifs de ce corps, mais pas seulement. La "gloire", le kabod en hébreu se définit comme la massive intensité d’être, comme un poids ontologique parvenu à sa perfection, et dont la lumière n’est qu’une des modalités épiphaniques. La "levée du corps" traduit bien la réalité du fait : le mort est un gisant, et à jamais. Certes, on peut admirer la subtilité de l’auteur concernant cette mort, non pas vaincue, mais indéfiniment étirée. Cependant, on éprouve un peu d’étonnement devant la désinvolture avec laquelle le donné théologique est radicalement transformé, de même que l’apparente ignorance de ce donné. Selon saint Thomas, nulle action du dehors ne peut léser ni altérer le corps glorieux et les dispositions de la matière, mais l’activité des cinq sens s’exerce en toute plénitude ; les organes de ceux-ci étant alors, comme l’est le corps entier, dans l’état de suprême perfection de la nature humaine. Jean-Luc Nancy fait de la résurrection une sorte de mouvement éternel qu’il qualifie de "en partance", un mouvement incessamment continué. Vision de poète bien plus que de philosophe. Par ailleurs, il est difficile de le suivre lorsqu’il soutient que "la résurrection n’est pas une apothéose" et que, au contraire, elle est "la kénose continuée". Or, la kénose, cet état de déréliction ultime, inaugurée à Gethsémani et assumée dans les derniers moments de la crucifixion, ne saurait se continuer dans le corps glorieux. Quant à admettre que la gloire du corps glorieux rayonne comme la "béance du tombeau", c’est pousser le goût et l’art du paradoxe jusqu’à une virtuosité qui mérite toute notre admiration, mais qui relève davantage du tour de force dialectique que de l’analyse critique.»

« En revanche, ce qui est bien vu, c’est d’abord le rapport des sens engagés dans cet épisode : la vue et le toucher, puis l’ouïe. La question n’est pas vaine et ce sont les peintres – Rembrandt le premier – qui ont su le mieux voir dans cet épisode "l’intrigue délicate du visible et de l’invisible". Car c’est là le principal intérêt de l’ouvrage que confortent l’iconographie, le corpus de quelques huit tableaux de peintres représentant la scène en question – Rembrandt, Dürer, Titien, Pontormo, Cano Alonso, Bronzino, Corregio et un anonyme de l’église de Saint Maximin – et l’analyse de l’attitude adoptée, en particulier du toucher : "Tout se passe comme si les peintres s’ingéniaient à tourner autour de l’ambiguïté narrative et sémantique de la phrase "ne me touche pas". Car on peut supposer qu’elle succède à un contact, à un premier geste vif de Marie qui a surpris Jésus, tout autant qu’elle peut être prononcée pour prévenir "un geste que l’homme voit venir". Cependant, on déplore la brièveté de l’analyse qui méritait quelques développements et qui se borne à cette interprétation lapidaire : L’amour et la vérité touchent en repoussant : ils font reculer celle ou celui qu’ils atteignent, car leur atteinte révèle dans la touche même qu’ils sont hors de portée". Que voilà une étrange idée de l’amour et de la vérité.»

« Cette fois, l’épilogue est sans ambiguïté en dépit de son caractère paradoxal : "Un corps glorifié se présente et se refuse à un corps sensible, chacun des deux exposant la vérité de l’autre, un sens frôlant l’autre mais les deux vérités demeurant irréconciliables et se repoussant l’une l’autre. Arrière ! Recule !". C’est un bien étrange amour que celui qui repousserait l’humble témoignage d’affection et de respect d’une femme éprouvée et endeuillée. Non, il est bien plus vraisemblable que le noli me tangere signifie simplement : "tu ne peux pas me toucher", et non pas "tu ne dois pas me toucher", à cause de la nature particulière de ce corps désormais soumis à d’autres lois que les lois physiques de l’humanité dans sa condition présente. Moins un interdit, moins un tabou qu’une impossibilité de fait dont la femme est informée. Y voir une sorte de lieu où la vérité s’abîme sans fin dans une souffrance et une jouissance est une projection de nos fantasmes philosophiques modernes qui n’est pas sans intérêt mais qui n’a que peu de choses à voir avec la vérité.»
(source : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.5375)


Et pourtant, le Christ ressuscité invita Thomas l'incrédule au constat. Il avait donc la capacité à se "matérialiser" de son propre mouvement et ne le fit pas devant Marie-Madeleine. Donc l'explication est ailleurs. Et pour ne pas abuser de la patience d'un lectorat méritant, j'oserais avancer qu'au retour des Enfers (c'est une très longue histoire) le corps glorieux du Christ est encore en fabrication, en devenir, inachevé. Sa prochaine manifestation sera pour les disciples d'Emmaüs en chemin, qui ne le reconnurent pas non plus. Pour finir ce billet de saison, on notera que la vie éternelle est dans le Deutéronome (30.19): « J’ai placé devant toi la vie et la mort, dit l’Éternel. Et toi, tu choisiras la vie ! ». On appelle un cimetière en hébreu le Beit Hahayim, ce qui signifie "la maison des vivants". Plus qu'un défi à la Mort, c'est une promesse. Acceptons-en l'augure et rions que diable !

ALSP !

13 avril 2025

Ad libitum

Ce billet #2516 s'écrit à la pleine lune d'avril, celle qui est la plus éloignée de notre bonne vieille terre avec 405224 kilomètres de distance, nous disent les éphémérides de l'Observatoire. Même avec un puissant télescope on n'y voit pas tourner des cons, et pourtant ils sont bien ce qu'il nous manque le moins. Avec un plus fort grossissement on y verra dans le futur la tombe d'Elon Musk illuminée comme le Taj Mahal, parce qu'il nous semble très osé de capitaliser sur une sépulture martienne, quoique de la gueule ça aurait, dirait Yoda. Elon ne mourra pas sur Mars, nous non plus et c'est bien dommage car de l'ennui nous guéririons en ce monde trop vieux où nous vinrent trop tard (c'est de Musset). Risquons-nous plutôt, à pas de loup (garou), sur les traces de la fin de vie, traces effacées par la presse à sensation pour coller à l'actualité parlementaire et nous faire croire que tout se découvre aujourd'hui.

Depuis toujours, on a dépêché les incurables en phase de douleurs terminales au seul motif de les soulager de l'insupportable. Depuis toujours, dans la haute bourgeoisie on a sû hâter la constitution des hoiries dès que le testateur n'était plus en capacité physique de s'y opposer. Les lois de défaisance de la vie qui se discutent en commissions, ne sont que l'application au populaire de mœurs réservées jusqu'ici à l'élite. Faire pénétrer le vulgum pecus dans le privilège lève beaucoup de préventions sur la possibilité qu'on lui accorde de contourner de cent façons la règle écrite pour "gérer" ses anciens de manière économiquement justifiée. On sait que les familles sont parfois plus dures que les juges quand il y va de leur intérêt bien compris. En écho, le législateur se défend d'arguer de toute résonnance économique dans l'octroi du privilège d'euthanasie, alors qu'on entend partout que les vieux coûtent décidément bien cher.

A la fin de la séquence la loi passera, avec les précautions d'usage pour qu'elle soit digérée par la société, un peu comme on avait enrobé la loi Veil sur l'avortement à destination des croyants. Toutes les barrières ont depuis lors sauté. Il en sera de même avec l'euthanasie. Peut-être sera-t-il avisé de prendre bientôt sa retraite dans des pays moins normateurs. Le deuxième point est du même tonneau.

La France va reconnaître un Etat palestinien au mois de juin prochain, a déclaré le président Macron. Les Israéliens n'ont pris aucun retard pour dénoncer ce pas de clerc qui, selon eux, reviendrait à accorder une prime au Hamas pour le pogrom du 7 octobre 2023 qui a réveillé la cause palestinienne dans le monde. Et le fils Nétanyahou, portevoix de son père, a copieusement insulté le président français depuis le soleil de Floride, par un "Va te faire f***". Qu'importe à la fin ! Israël n'entend discuter avec aucun alter ego sur ses terres bibliques à lui données par Yahweh et n'a pas d'autre projet que de "foutre" les Arabes à la mer, de vider le squat. Les Palestiniens s'accordent tous entre eux, maintenant que la Bande de Gaza est détruite et cinquante mille morts plus tard, sur un projet identique : "foutre" les Juifs à la mer ! Du fleuve à la mer ! Le conflit n'a pas de solution en conséquence surtout de la colonisation à outrance des collines cisjordaniennes et de l'appropriation de tous les captages d'eau au bénéfice d'Israël pour mettre à merci cultivateurs et bergers.
Pourtant un pressentiment secret suggère aux juifs de bonne foi qu'il ne faut pas brandir le pogrom comme un totem d'impunité et massacrer à l'envi des femmes et des enfants réputés dommages collatéraux d'une guerre légitime aux preneurs d'otages ; l'hystérie mortifère de Nétanyahou qui a rompu toutes les digues morales, est la garantie la plus sûre qu'il y aura un huit octobre, puis un neuf, un dix octobre... et le monde lassé aura déjà pleuré ! Pauvre Israël et sa revanche sur l'histoire qui devient un problème insoluble à l'instar de la quadrature du cercle. On attendait mieux d'une race réputée supérieure. La faute aux nuts !
Justement :

La semaine écoulée fut marquée et brillamment par une notice psychiatrique émise par l'ancien Ministre-président de Wallonie, Rudy Demotte, sur sa page Facebook : Trump, ou l'incarnation du chaos mondial. La revue satirique belge L'Asymptomatique l'a reproduite in extenso, richement illustrée sur cette page-ci. On y lit (extrait) : « Ce que Donald Trump a livré à l’Amérique et au monde n’est d’ailleurs pas un discours. C’est un flux verbal. Un tourbillon désarticulé. Un vortex de mots en abîme. Un monologue haletant, saturé de redites, d’exclamations, de chiffres brandis comme des pancartes, sans transition, sans hiérarchie, sans logique apparente. Il passe d’une attaque contre le lait canadien à une anecdote sur Shinzo Abe, glisse sans transition d’un graphique à une déclaration d’amour à sa ministre de l’Agriculture, évoque sa beauté juvénile dans la même respiration qu’une menace de prison pour fraude douanière. Ce n’est plus un programme. C’est un zapping intérieur.»

La diarrhée verbale, le flux de ventre trumpique évacué en bouche est analysé jusqu'au dernier grumeau. Et M. Demotte de conclure : « Nombre de psychiatres américains avaient tenté d’alerter, depuis des années, sur ce qu’ils nomment le "Dangerous case of Donald Trump" : trouble narcissique, absence d’empathie, impulsivité dangereuse. L’ancien ministre étasunien Robert Reich parle d’un homme qui "ne distingue plus l’autorité du pouvoir personnel, ni la vérité de l’auto-affirmation". Mais inutile de trancher ici entre diagnostic et mise en scène. Le trouble, justement, est qu’on ne sait plus. Ce discours n’est ni vraiment improvisé, ni réellement cohérent. Il n’est ni projet, ni vision. Il est un chaos réverbéré. Un entrechoc de pulsions, de fierté blessée et de ressentiment bruyant. Ce n’est pas le symptôme d’un désordre mental. C’est peut-être bien pire : le spectacle d’un pouvoir convaincu que ce désordre est une forme d’ordre supérieur — parce qu’il vient de lui.»

(source : https://www.asymptomatique.be/trump-ou-lincarnation-du-chaos-mondial-par-rudy-demotte)

Les adorateurs français de l'Agent Orange ne liront pas ce brûlot. Il les tuerait !

ALSP !

06 avril 2025

Resurrexit !

L'Olonnais


On cherchait dans le parti de l'âne une réponse cinglante à la frénésie des décrets détruisant l'Etat profond fédéral américain et ses agences d'assistance. Il fallait oser le registre MEGA pour affronter le MAGA ; quelque chose que le Bigfoot orange de la Maison Blanche soit incapable de faire et dont il ne puisse se moquer comme à son habitude pour tout ce qui n'est pas de lui. C'est le sénateur démocrate du New Jersey, Cory Booker, qui s'y est collé. Il a parlé vingt-cinq heures au pupitre. L'incontournable préparation physiologique de l'exercice l'a contraint à jeûner et à cesser de boire car la règle du jeu de la flibusterie veut que l'orateur ne s'assoie pas ni qu'il interrompe son discours pour faire une pause pipi (test). Le Yeti du Queens ne peut égaler l'exploit ; tant physique qu'intellectuel ; c'était le but. Mais qu'a-t-il dit finalement ? Il attaque Trump frontalement :
« Tonight, I rise with the intention of getting in some good trouble. I rise with the intention of disrupting the normal business of the United States Senate for as long as I am physically able. I rise tonight because I believe, sincerely, that our country is in crisis. And I believe that not in a partisan sense, because so many of the people that have been reaching out to my office – in pain, in fear, having their lives upended – so many of them identify themselves as Republicans...».
Captain Booker a bien mérité de la flibuste !

Dreyfus


Vous pourriez passer deux jours (en prenant vos huit heures de sommeil) à lire les 1164 pages de ce discours étonnant, intelligent, profond, très juste de ton, mais je ne les ai pas trouvées en version intégrale. Circulent des extraits dans la presse anglo-saxonne et le Guardian en a fait une recension copieuse pour ses abonnés. Si le cœur vous en dit ! Entretemps, le Chimp a appliqué des droits de douane supplémentaires et parfois élevés à tout le monde et même à des îles à pingouins qui n'ont jamais produit un kilo de guano. A moins que ce ne soit une farce du préposé au tableur Excel qui se serait vengé de son licenciement. Ainsi trouve-t-on le volcan Jan Mayen et les îles Heard et McDonald dans la liste des "dirty 15". Le monde entier s'esclaffe mais lui ne rit pas du tout, affairé 7/24 à donner son avis à temps et contretemps au monde tout ouïe, jusqu'à demander la libération de Marine Le Pen. Mais vous ne vous êtes pas non plus levés ce matin pour comparer les affluences aux manifestations partisanes de ce dimanche où fut jugée en place publique la nouvelle affaire Dreyfus. L'élément nouveau est que la dédiabolisation du FN s'achève en eau de boudin. Piquée à mort - "tu voles, tu payes" (Attal) - la Madone de Montretout en appelle à la rue pour contrer l'état de droit qui lui est défavorable mais qu'elle décrète hostile politiquement. Choqués, le garde des sceaux et le chef de la police montent au créneau de la défense de la République, l'un en promettant d'accélérer l'appel qui pourrait dégager la piste vers la suprême consécration des idées courtes, l'autre en agitant la crécelle des juges rouges et du "mur des cons" sur lequel il va apparaître.
Tout ça pour nous faire oublier que la fille du Pirate a enkroumé d'au moins quatre bâtons le parlement européen. Mme le juge de Perthuis ayant été formée comme auditeur chez Ernst & Young, il a été difficile de contrer ses calculs minutieux étalés sur 150 pages d'attendus, même en mélangeant la froideur des chiffres à la chaleur des émotions d'une belle plaidoirie. Qu'importe à la fin, la candidate familiale et naturelle du parti national est barrée de la course présidentielle, sauf si son inéligibilité est abandonnée en appel rapide (dans un an) en tordant en tout sens les dispositions de la loi Sapin II qui lient prévarication et investiture. Le Rassemblement national est-il fragile au point de ne pas survivre à l'effacement de son égérie historique ?

Oui. Ils n'ont pas les carrures. De la gueule, surtout ! Même s'ils se croient tous au niveau de l'emploi, les cadres de gouvernement y sont rares, depuis le départ de Bruno Mégret (X-Pont) qui avait attiré beaucoup de talents bancables au Paquebot de Nanterre. Vide, on le vendit. Les cent premiers jours de l'Administration Trump vont nous démontrer qu'il ne suffit pas d'idées simples et de slogans percutants pour gouverner correctement un pays. Depuis son investiture, Trump a détruit onze trillions de dollars de capitalisation boursière. Or dans le team RN aujourd'hui, il n'y a que des amateurs, des répétiteurs d'éléments de langage contrôlés sinon des universitaires en fin de droits, à jeun de toute application de leurs thèses. Le parti n'a pas de corpus doctrinal solide qui puisse former la colonne vertébrale d'un exécutif à poste. Son jeune président cultive un look Chirac des années Pompidou, mais avec juste un bac-plus, il lui sera impossible d'embrasser tous les rouages de l'Etat complexe que dirige Matignon. Jacques Chirac avait fait Saumur et l'ENA, lui ! Le programme RN dont les béances sont nombreuses, fait le grand écart entre un patriotisme raisonné bienvenu et un populisme social qui le détruit. Le registre des porte-parole est mince parce que la régulation ou le refus de l'immigration n'est pas une baguette magique qui résoudra tout. Et in fine, les déboires probables de Trump aux prochaines mid-terms vont porter un coup fatal aux promesses faciles. Les élections à mi-mandat se tiendront au mois de novembre 2026 aux Etats-Unis, en pleine campagne électorale française. Jusqu'ici, l'opposition au Rassemblement national avait peu de biscuits pour lui répondre, à part sa stigmatisation éculée, fachisme et islamophobie ; dès maintenant, l'opposition "républicaine" peut structurer une critique fondée sur le désordre américain et sur ses répliques jusqu'à l'autre bout du monde. C'est même curieusement devenu trop facile, tellement, qu'une certaine prudence a saisi les chefs LR, PS et Renaissance qui modèrent à demi-mots leurs commentaires sur la chose jugée et n'attaquent pas le parti au fond en s'appuyant sur la dérive autoritaire de l'Agent Orange devenu Ubu-roi en sa cour. Peut-être participent-ils de la sidération qui a saisi la planète aux décisions douanières échevelées de Washington et attendent-ils que l'écume retombe pour y voir quelque chose de consistant qui nourrira leurs reproches. La nouvelle affaire Dreyfus est loin d'être terminée.

Mais tout ceci n'est rien, comparé au changement de paradigme provoqué par l'arrivée au pouvoir sans les filtres de la raison de l'idéologie libertarienne aux Etats-Unis. Nous allons reparler de la fin d'un cycle européen, celui que je nommerai "le Cycle de la ouate". Fini le Club Med, le hamac des loisirs, les avantages sociaux à compte d'autrui au débit des générations futures. L'Europe doit se reconstruire d'abord mentalement, son modèle tant envié a échoué à contenir les brutes. Il était donc en défaut. A suivre...
ALSP !