Selon les experts, le meilleur tableau de l'instant choisi serait celui de Jan Brueghel (clic). Ce nouveau corps qualifié de "glorieux" par les Pères va errer pendant quarante jours en Palestine pour achever la catéchèse des apôtres ; puis il disparaîtra à leur vue au milieu d'eux.
Ce corps transfiguré n'est pas exactement semblable au corps humain qui l'a précédé, à preuve du nombre de fois où Jésus n'est pas reconnu de ses fidèles les plus proches, à commencer dès le premier jour par Marie Madeleine amoureuse. Il a donc des propriétés supplémentaires comme on en trouverait dans un corps astral ou un corps éthérique. Mais il est la promesse christique de base : lui aussi renaitra du corps ancien que nous abandonnerons. Marion Duvauchel a produit une notice critique très intéressante dont je publie sans son accord un large extrait sur l'ouvrage de Jean-Luc Nancy, Noli me tangere. Essai sur la levée du corps (Bayard Ed.)
« Jean-Luc Nancy décrit cet épisode (Marie Madeleine et le jardinier) comme la scène dans laquelle le Christ "parle, s’adresse et s’en va". C’est une curiosité philosophique que cet essai sur la levée du corps et, donc, sur la question de la résurrection et de sa signification philosophique, doublée d’une réflexion sur la limite entre le visible et l’invisible [...]
« Comme l’a vu Jean-Luc Nancy, il s’agit bien du statut du corps et du corps "glorieux". Mais c’est ici que le philosophe manque, et de loin, la réalité des concepts théologiques : "Le corps glorieux [dit-il], est un corps brillant de l’éclat de l’invisible". Certes, c’est un des éléments constitutifs de ce corps, mais pas seulement. La "gloire", le kabod en hébreu se définit comme la massive intensité d’être, comme un poids ontologique parvenu à sa perfection, et dont la lumière n’est qu’une des modalités épiphaniques. La "levée du corps" traduit bien la réalité du fait : le mort est un gisant, et à jamais. Certes, on peut admirer la subtilité de l’auteur concernant cette mort, non pas vaincue, mais indéfiniment étirée. Cependant, on éprouve un peu d’étonnement devant la désinvolture avec laquelle le donné théologique est radicalement transformé, de même que l’apparente ignorance de ce donné. Selon saint Thomas, nulle action du dehors ne peut léser ni altérer le corps glorieux et les dispositions de la matière, mais l’activité des cinq sens s’exerce en toute plénitude ; les organes de ceux-ci étant alors, comme l’est le corps entier, dans l’état de suprême perfection de la nature humaine. Jean-Luc Nancy fait de la résurrection une sorte de mouvement éternel qu’il qualifie de "en partance", un mouvement incessamment continué. Vision de poète bien plus que de philosophe. Par ailleurs, il est difficile de le suivre lorsqu’il soutient que "la résurrection n’est pas une apothéose" et que, au contraire, elle est "la kénose continuée". Or, la kénose, cet état de déréliction ultime, inaugurée à Gethsémani et assumée dans les derniers moments de la crucifixion, ne saurait se continuer dans le corps glorieux. Quant à admettre que la gloire du corps glorieux rayonne comme la "béance du tombeau", c’est pousser le goût et l’art du paradoxe jusqu’à une virtuosité qui mérite toute notre admiration, mais qui relève davantage du tour de force dialectique que de l’analyse critique.»
« En revanche, ce qui est bien vu, c’est d’abord le rapport des sens engagés dans cet épisode : la vue et le toucher, puis l’ouïe. La question n’est pas vaine et ce sont les peintres – Rembrandt le premier – qui ont su le mieux voir dans cet épisode "l’intrigue délicate du visible et de l’invisible". Car c’est là le principal intérêt de l’ouvrage que confortent l’iconographie, le corpus de quelques huit tableaux de peintres représentant la scène en question – Rembrandt, Dürer, Titien, Pontormo, Cano Alonso, Bronzino, Corregio et un anonyme de l’église de Saint Maximin – et l’analyse de l’attitude adoptée, en particulier du toucher : "Tout se passe comme si les peintres s’ingéniaient à tourner autour de l’ambiguïté narrative et sémantique de la phrase "ne me touche pas". Car on peut supposer qu’elle succède à un contact, à un premier geste vif de Marie qui a surpris Jésus, tout autant qu’elle peut être prononcée pour prévenir "un geste que l’homme voit venir". Cependant, on déplore la brièveté de l’analyse qui méritait quelques développements et qui se borne à cette interprétation lapidaire : L’amour et la vérité touchent en repoussant : ils font reculer celle ou celui qu’ils atteignent, car leur atteinte révèle dans la touche même qu’ils sont hors de portée". Que voilà une étrange idée de l’amour et de la vérité.»
« Cette fois, l’épilogue est sans ambiguïté en dépit de son caractère paradoxal : "Un corps glorifié se présente et se refuse à un corps sensible, chacun des deux exposant la vérité de l’autre, un sens frôlant l’autre mais les deux vérités demeurant irréconciliables et se repoussant l’une l’autre. Arrière ! Recule !". C’est un bien étrange amour que celui qui repousserait l’humble témoignage d’affection et de respect d’une femme éprouvée et endeuillée. Non, il est bien plus vraisemblable que le noli me tangere signifie simplement : "tu ne peux pas me toucher", et non pas "tu ne dois pas me toucher", à cause de la nature particulière de ce corps désormais soumis à d’autres lois que les lois physiques de l’humanité dans sa condition présente. Moins un interdit, moins un tabou qu’une impossibilité de fait dont la femme est informée. Y voir une sorte de lieu où la vérité s’abîme sans fin dans une souffrance et une jouissance est une projection de nos fantasmes philosophiques modernes qui n’est pas sans intérêt mais qui n’a que peu de choses à voir avec la vérité.»
(source : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.5375)
Et pourtant, le Christ ressuscité invita Thomas l'incrédule au constat. Il avait donc la capacité à se "matérialiser" de son propre mouvement et ne le fit pas devant Marie-Madeleine. Donc l'explication est ailleurs. Et pour ne pas abuser de la patience d'un lectorat méritant, j'oserais avancer qu'au retour des Enfers (c'est une très longue histoire) le corps glorieux du Christ est encore en fabrication, en devenir, inachevé. Sa prochaine manifestation sera pour les disciples d'Emmaüs en chemin, qui ne le reconnurent pas non plus. Pour finir ce billet de saison, on notera que la vie éternelle est dans le Deutéronome (30.19): « J’ai placé devant toi la vie et la mort, dit l’Éternel. Et toi, tu choisiras la vie ! ». On appelle un cimetière en hébreu le Beit Hahayim, ce qui signifie "la maison des vivants". Plus qu'un défi à la Mort, c'est une promesse. Acceptons-en l'augure et rions que diable !
ALSP !
En ce lundi de Pâques, le pape est mort.
RépondreSupprimerSa sainteté François va pouvoir vérifier les allégations que nous soumettions ce tantôt à la méditation de nos lecteurs.
Qu'il procède dans la paix loin du tumulte d'un monde déchaîné de fureur.
J'ai hâte de connaître sa réponse !
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