Cette république parlementaire lancée contre le régime des partis de la précédente, était en fait l'outil du gouvernement d'un seul, et pas du peuple, du tout ! On l'appela monarchique pour faire classe alors que sa constitution donnait la primeur au césarisme, sinon au bonapartisme le plus échevelé, sans le génie du modèle. Les penseurs gaullistes inventèrent "la rencontre d'un homme et d'un peuple" dans une célébration quasi-religieuse de l'élection présidentielle au suffrage universel. Cette transfiguration du candidat à qui était promise l'Ascension, devait applanir tous les différends au prétexte d'une légitimité irréfragable, digne de l'onction de Reims. Mais dans les faits, ce ne fut jamais le cas. Quand le Congrès coupable de remontrances au despote éclairé fut déchargé de cette élection, les résultats électoraux de tous les premiers tours, les seuls qui comptent dans le choix, ne donnèrent jamais cet adoubement. Voici les chiffres de premier tour du vainqueur du second tour et l'addition des pourcentages des deux candidats restants au second tour pour mesurer le déchet (calculé sur les suffrages exprimés) :
- De Gaulle/1965: 44,65% et 76,37% (déchet de 23,63%)
- Pompidou /1969: 44,47% et 67,78% (déchet de 32,22%)
- Giscard/1974: 32,60% et 78,85% (déchet de 24,15%)
- Mitterrand/1981: 25,85% et 54,07% (déchet de 45,93%)
- Mitterrand/1988: 34,11% et 55,07% (déchet de 44,93%)
- Chirac/1995: 20,84% et 44,14% (déchet de 55,86%)
- Chirac/2002: 19,88% et 36,74% (déchet de 63,26%)
- Sarkozy/2007: 31,18% et 57,05% (déchet de 42,95%)
- Hollande/2012: 28,63% et 55,81% (déchet de 44,19%)
- Macron/2017: 24,01% et 45,31% (déchet de 54,69)
- Macron/2022: 27,85% et 51,00% (déchet de 49,00%)
Sans avoir fait Saint-Cyr, on constate qu'aucun impétrant n'a obtenu la moitié des suffrages exprimés au premier tour. Ne parlons même pas des inscrits. Même le fondateur de la République a été mis en ballotage par un cagoulard notoire. Deuxièmement, si la légalité fut à chaque fois respectée à la lettre, on peut avancer sans craindre la torture qu'à partir de 1981 la légitimité est gravement compromise par l'importance du déchet. Ceci indique qu'une trop forte fraction des électeurs n'est pas représentée au sommet de l'Etat. En compensation, cette frustration devrait trouver remède dans une représentation équitable de tous à l'Assemblée nationale, et donc qu'un scrutin proportionnel ouvre un espace de débats contradictoires des attentes du peuple dit souverain. Que nenni. Comme vous le savez, le scrutin législatif a été "fabriqué" pour dégager une majorité à la chambre afin que l'adjudant-major de Matignon puisse appliquer la politique personnelle du président élu. La rencontre d'un homme et du peuple est une supercherie. Le peuple est trop divers pour se retrouver dans un seul homme sauf en cas de péril réel ou supposé. En 1958, le putsch militaire d'Alger mit les pouvoirs publics au défi de régler la question algérienne. Le nouveau président du Conseil (CDG) fit juger la République incapable et coupable en l'affaire pour y substituer sa propre constitution - si ce n'est pas un coup d'Etat, ça y ressemble - et pour éviter d'aller devant les chambres réunies en Congrès, décida de faire approuver sa constitution par référendum, étant sûr au moins que personne ne la lirait. Qui d'ailleurs était capable d'en comprendre les conséquences à part une poignée de gnomes qui avaient déjà lu l'Etre et le Néant de Sartre ? Donc le "peuple" dit oui, mais oui au sauveur présumé et pour faire quoi ? Pour régler la question des trois départements algériens dans la République française. On sut ce qu'il advint après que le Général eut confirmé qu'il nous avait compris. Dès le départ, la Cinquième partait de travers.
La supercherie démontrée ci-avant se double d'un dévoiement de procédure que Tocqueville avait détecté (De la démocratie en Amérique) et qui transforme le césarisme en dictature (si, si !). Je cite :
« L’intrigue et la corruption sont des vices naturels aux gouvernements électifs. Mais lorsque le chef de l’État peut être réélu, ces vices s’étendent indéfiniment et compromettent l’existence même du pays. Quand un simple candidat veut parvenir par l’intrigue, ses manœuvres ne sauraient s’exercer que sur un espace circonscrit. Lorsque au contraire le chef de l’État lui-même se met sur les rangs, il emprunte pour son propre usage la force du gouvernement. Dans le premier cas, c’est un homme avec ses faibles moyens ; dans le second, c’est l’État lui-même, avec ses immenses ressources, qui intrigue et qui corrompt. Le simple citoyen qui emploie des manœuvres coupables pour parvenir au pouvoir, ne peut nuire que d’une manière indirecte à la prospérité publique ; mais si le représentant de la puissance exécutive descend dans la lice, le soin du gouvernement devient pour lui l’intérêt secondaire ; l’intérêt principal est son élection.»
C'est un plaidoyer pour un septennat non renouvelable. D'ailleurs nous en aurions déjà fini aujourd'hui avec Monsieur Macron. Mais le quinquennat "plus moderne" fut instauré pour éviter les cohabitations (raté !) et pour assurer la réélection par la captation des pouvoirs détenus. Manque de pot, les médiats, pourtant largement subventionnés n'ont pas marché dans la combine et plus tard les réseaux sociaux ont pris la mouche au même moment qu'ils montaient en pression.
La presse bruisse en continu de voyance politique et les éditocrates tirent les cartes à Marianne chaque matin. Mais le régime gaullien ne peut absorber le quadripartisme trop réducteur du pays gaulois, et ça, on le savait dès le départ. Y a-t-il une porte de sortie au désordre politique actuel qui ne soit pas une déclaration de banqueroute ? Oui, si on s'en tient à la réforme d'institutions trop minutieuses, trafiquées, bricolées qui coincent toutes les portes. Il faut évacuer l'exécutif du schmilblick et agréger une majorité constituante à la Chambre basse en commençant par un changement de scrutin à la proportionnelle. Immanquablement, les partis ouvriront le projet d'une Sixième République qui les occupera jusqu'à la fin du printemps prochain. Le budget sera passé aux "douzièmes provisoires" en attente de meilleure fortune. Il y a des chances que l'Exécutif cherche tous moyens légaux pour débander une Assemblée hostile mais avec un peu de courage, celle-ci peut résister dans ses murs à la Mirabeau, avec ou sans le renfort du Sénat. Est-ce un coup d'Etat ? il serait comique que la Cinquième agonisante finisse sur un coup d'Etat.
Postscriptum : Juste un mot sur cette IVè République honnie.
Malgré les tares du parlementarisme à la française, cette République a relevé la France qui était ruinée rock bottom. Elle a échangé le Plan Marshall contre l'adhésion au GATT et au FMI dont elle reçu la direction (jusqu'à DSK !). Elle a résisté à la collectivisation à la mode d'alors tout en créant une vraie sécurité sociale des actifs. Elle a reconstruit les villes, les ports, les usines, redéployé l'agriculture en remembrant les terres arables ; elle a créé la Communauté européenne du charbon et de l'acier qui préfigurait le Marché commun et elle a lancé de grands projets qui aboutirent après elle, comme la recherche nucléaire appliquée, le pont de Tancarville, les avions Caravelles ou le paquebot France. Certains hommes d'Etat de cette République honnie avaient révisé l'approche coloniale d'une civilisation exogène imposée et réaffirmée par la Conférence (gaulliste) de Brazzaville en 1944 qui niait toute autonomie, encore moins une indépendance. Ils ne furent pas entendus sauf quand il fallut lâcher prise en Indochine, au Maroc et en Tunisie. Et ceci en moins de douze ans. Sous les coups redoublés des gaullistes et des communistes, elle rata la Communauté européenne de défense qui devait ancrer l'Allemagne à la France et peut-être nous éviter les dernières aventures africaines. On dépense aujourd'hui beaucoup d'énergie à revenir vers ce concept de mutualisation des armées européennes mais les rapports d'équilibre ont bien changé et les conditions ne nous seront pas aussi favorables. Pour faire bon poids, on ne peut ignorer qu'elle s'est plantée dans la suite à donner à Sétif, à Madagascar, à Suez et a pris l'affaire algérienne par le mauvais bout. Nobody is perfect.
Bibliographie:
Alexis de Tocqueville: De la démocratie en Amérique
François Mitterrand: Le coup d'Etat permanent
Arnaud Montebourg: La VIè République
Jean Guiloineau: La double mort d'une république ordinaire
Alexis de Tocqueville: De la démocratie en Amérique
François Mitterrand: Le coup d'Etat permanent
Arnaud Montebourg: La VIè République
Jean Guiloineau: La double mort d'une république ordinaire