08 septembre 2024

L'impéritie

La situation budgétaire du pays est "catastrophique" proclame le rapporteur général du budget du Sénat (clic). Si la nomination de Michel Barnier à Matignon rassure les zinzins* (les investisseurs institutionnels) et la Commission européenne qui attend notre réponse à sa mise en demeure de rétablir nos comptes, rien ne dit que le nouveau Premier Ministre parvienne à faire dérailler le bandwagon de Folleville qui nous conduit au mur de la banqueroute. Comme nous le montrent les programmes des groupes parlementaires arrivés en tête des élections législatives, les partis politiques fantasment encore sur le toujours plus, arrosant de promesses de dépenses nouvelles un corps électoral où sont majoritaires les benêts. C'est le système en lui-même, la démocratie clientéliste latine, qui émet du déficit en continu pour récompenser le gagnant du moment. D'ailleurs l'affaire est de longue mèche si on relit les extraits de discours courageux des premiers ministres depuis le début de la Cinquième République, en pure perte ! Qu'on en juge :

Qui a dit ?
- « Il n'est pas d'indépendance politique si la vie quotidienne du pays dépend de prêts ou de dons de l'étranger » (source A).
- Qui dénonce « le fonctionnement défectueux de l'Etat tentaculaire et en même temps inefficace avec comme résultats le gonflement des masses budgétaires et l'accablement des entreprises privées par une réglementation proliférante » ? (réponse B)
- Qui pointe la menace « d'un endettement croissant qui affecterait une indépendance à laquelle chacun de nous est profondément attaché et qui ferait d'ailleurs que l'innéluctable remise en ordre » ? (réponse C)
- « La vérité, c'est qu'il n'y a pas de trésors cachés dans les comptes des entreprises ou dans les "cagnottes" de la croissance ; la vérité ce sont les déficits et les dettes accumulées depuis vingt ans » (source D)
- « Sortir la France de l'impasse dans laquelle elle s'est enfermée : celle de la vieille croissance dopée artificiellement par les dépenses publiques. Cette vieille croissance c'est la croissance à crédit. C'est le choix des déficits et de la dette qui ont privé l'Etat de toute marge de manœuvre. (source E)
- « Notre redressement passera par notre indépendance financière. La dette publique est notre responsabilité collective. Là encore, il faut dire la vérité. » (source F)
- « Notre dette atteint un niveau insupportable. Cette dette nous met à la merci des marchés financiers, ce qui a l'air de ne poser aucun problème à personne. Il y a une addiction française à la dépense publique. » (source G)

A : Debré à la Chambre en 1959
B : Chaban à la Chambre en 1969
C : Barre en 1976
D : Raffarin à la Chambre en 2004
E : Fillon en 2007
F : Valls en 2014
G : Philippe en 2017
(copyright éditorial de Pierre-Antoine Delhommais in Le Point du 8 février 2024)


Le mal français est donc diagnostiqué depuis des lustres sans que cette longue maladie ne soit traitée, à tous bons motifs, les voix du plus grand nombre étant le principal. Que faudra-t-il aux médicastres qui se penchent sur notre vieille république sans le sou pour la faire lever du grabat ? De la force alliée à un courage collectif. Prions !

Le démocrate chrétien Barnier est sans doute la personnalité politique française la plus susceptible d'être entendue par les analystes financiers qui font la pluie et le beau temps sur le marché des taux d'emprunt, grâce à son aura du Brexit, sauf bien entendu si l'Assemblée nationale joue contre lui et contre le pays, ce qui ne serait pas la première fois. Auquel cas, les gnomes de Zurich jugeront que le malade est incurable et lui prêter dangereux. Et généralement, ce retournement de crèpe se fait par surprise et instantanément, les marchés se réglant toujours sur la panique ou l'hystérie. Autant dire que nul ne sait le jour ni l'heure de notre punition.

ALSP !

01 septembre 2024

Démocratie, la déesse nue

Le parangon de vertu que représente le dêmos kratos est sanctifié dans les pays du monde libre et dans beaucoup de pays du tiers-monde où il est confondu avec la jouissance des libertés individuelles. Pour le paysan du Danube comme pour le vigneron des rives de l'Hérault - pour ne parler que des fleuves qui comptent - cet engouement pour le régime du peuple, par le peuple, pour le peuple ne signifie rien de formidable quand le pays va mal, surtout quand les imprécateurs lui reprochent ses choix électoraux. Vous l'avez voulu, vous avez voté, vous l'avez ! La banqueroute française est à compte d'autrui, le peuple souverain !

Le concept original fut largement dévoyé pour établir l'establishment en faisant cautionner des stratégies complexes, parfois existentielles pour la nation, par le Nombre de votants. Il n'est de démocratie pertinente et sincère qu'au niveau local ; le reste est affabulation et tromperie habile. De grands penseurs ont tout dit sur les dérives quasi-naturelles de la démocratie en action. Nous ne les affronterons pas. Pour n'en citer que deux, Alexis de Tocqueville et Benjamin Constant. Un troisième toujours en vie ? Hans-Hermann Hoppe et son Democracy, the God that failed.

Nous avons sous les yeux la queue de trajectoire d'un caprice pseudo-césarien actionnant le suffrage universel contre la démocratie elle-même, après avoir créé toutes les conditions du blocage politique. Devant le foutoir parlementaire obtenu sur la base d'un scrutin truqué, un vrai chef se serait saisi de l'article 16 après avoir envoyé un premier ministre au hachoir de la censure. Au lieu de quoi on pique la baleine échouée sur la plage sans crainte de la percer dans toute sa puanteur. Si la démocratie directe met en danger les fondamentaux du pays au plan national, la démocratie représentative suscite des syndicats de sortants, mal élus souvent, qui abandonnent le souci essentiel de leur charge pour la pérennisation de la prébende. Moralement, le paradigme de gouvernance est vicié voire pourri au sens premier. Et ça se voit.

Il est assez facile pour les régimes dictatoriaux - qui se réclament tous des urnes quand même - de pointer la chienlit provoquée par les errements démocratiques chez les nations addictées à leurs pratiques trompeuses de clientélisme absolu. Le spectacle de nos sociétés "dégénérées" ayant bradé leur sûreté au wokisme déconstructeur et manifestant approbation et désapprobation des décisions de l'étranger dans des vociférations diplomatiques sans voir "la poutre", en est un exemple facile. Le vrai kratos occidental, disent-ils, n'est pas dans l'assentiment populaire mais dans les fortunes. Il protège la caste mondialisée qui suggère au demos ses meilleurs fondés de pouvoir (Pompidou en son temps renverse De Gaulle, Macron en 2017 renverse Hollande). Mais parfois, ça ne marche pas, le peuple verse au fossé des émotions et se retrouve au ... Venezuela ! Nonobstant, bien d'autres dictatures ont été enfantées par le rallye de foules en liesse : qu'on se souvienne de la révolution islamique de Téhéran, du printemps arabe tunisien et plus récemment des coups d'Etat militaires au Sahel. La joie ! Celle de Dupont bien sûr, mais la joie tout de même.

Le désordre français d'aujourd'hui affaiblit d'abord la sûreté du pays. Stéphane Audrand, consultant indépendant en risques internationaux, parle de l'habitude prise par les opinions européennes d'un front russo-ukrainien calcifié au Donbass. « Ce conflit qui dure à bruit relativement bas peine à mobiliser nos dirigeants à la mesure du péril. Englués dans la politique du quotidien et surtout – comme dans toutes les démocraties – par la préparation perpétuelle d’échéances électorales, ils peinent à se mobiliser et à mobiliser nos sociétés pour l’effort qu’il faudrait mener pour être à la hauteur du défi que Vladimir Poutine lance à toutes les sociétés démocratiques et qui menace l’essence du projet européen : vivre en paix dans le respect de l’autre. Au fond, à Paris comme à Berlin, Rome ou Madrid, tant que l’Ukraine "recule un petit peu", on se dit que ça tient, laissons les fonctionnaires gérer l’aide, on se concentre sur l’urgence, les prochaines élections et le jeu politique. Mais le gouffre se rapproche et, comme en février mars 2022, les effets "falaise" ne sont jamais loin. Bref : il est vraiment navrant que les politiciens d’Europe occidentale se regardent le nombril de la situation intérieure, des échéances électorales et l’articulation des promesses pour gagner dans les urnes. Ce court-termisme est une menace terrible pour nos démocraties » (source).

Mais le péril n'est pas que celui d'une guerre ouverte si Belzebuth proroge Poutine plus loin que sa date limite de consommation. La France est au seuil d'une révolte intérieure semblable ou pire que celle des Gilets jaunes depuis que dix millions d'électeurs mécontents du système laxiste actuel ont été passés par pertes et profits par le pouvoir en place. Ayant porté à la Chambre basse le premier groupe parlementaire de l'hémicycle, ce peuple des dix millions voit ses représentants ostracisés par diverses manoeuvres de couloirs et d'appareils, dans la droite ligne de l'escroquerie du "front républicain" par désistements réciproques. Il n'est pas besoin d'être de ce bord pour comprendre les prémices de l'insurrection. A laquelle bien sûr, répondra celle du camp des insoumis, antifas et autres escrolos végans accourus en renfort. Le cri poignant de la veuve de l'adjudant Eric Comyn a résonné dans le cœur de tous les Français qui partagent en masse son exécration des politiques publiques appliquées depuis l'irruption de la gauche compréhensive au pouvoir, celle qui a sociologisé la délinquance et aboli la peine de mort. Au fait, Robert Badinter est mort, ce qui signale que ça ne marche pas à tous les coups. Les mutations rapides non contrôlées de la société française ne heurtent pas que les souchiens mais toutes les pièces rapportées venues chez nous pour un certain émerveillement culturel et patrimonial. La subversion de l'espace public par le crime organisé est une humiliation de la société dans sa dignité. Malgré sa gravité reconnue par un rapport judiciaire au Sénat (clic), elle ne préoccupe pas une classe politique absorbée par ses petites affaires.

Depuis le quinquennat calamiteux de Nicolas Sarkozy qui a remis six cents milliards d'euros au pot de la dette tout en précarisant le domaine régalien de l'Etat, la parenthèse Hollande et les dix ans d'Emmanuel Macron (+ mille milliards au pot), il n'est pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour voir qu'aucune réforme n'est conduite en profondeur, même s'il existe des études officielles sur divers soucis évidents. Les réformes qui ont passé les écluses parlementaires, retraite, immigration, sont des pseudo-réformes permettant d'attendre le prochain locataire de l'Elysée, mais sur le fond, sécurité alimentaire, sûreté urbaine, justice désidéologisée, santé, haute intensité de défense et équilibre des comptes, rien n'avance jamais, et la dépense publique continue de tout dévorer. Au pied du mur des impossibles que vont dresser au même moment les agences de notation, et la Commission européenne qui s'inquiète vraiment de notre impéritie chronique, il va bien falloir répondre quelque chose à l'extérieur, quelque chose de différent de la logorrhée lénifiante habituelle dont tous nos partenaires sont lassés. Sauf à laisser monter l'agrégation des mécontentements chauffés à blanc par les promoteurs du chaos, quelqu'un de crédible au-dessus des partis déconsidérés doit expliquer aux Français quelle est la situation réelle de ce magnifique pays devenu ce pelé, le tondu de l'Eurogroupe, qui bat l'estrade à sa seule gloire quand tous les autres lui demandent de la fermer et de se concentrer sur la banqueroute française.
Attelés à la destruction de la démocratie qu'ils veulent miner de l'intérieur par la captation des positions d'influence dans la société (presse, universités, services sociaux et préfectoraux, magistrature du siège, syndicats ouvriers) les Insoumis bordélisent à tout va le jeu parlementaire, cherchant à prévenir dans l'hémicycle toute coalition contre eux qui les éloignerait de leurs cibles "civiles". Alors quoi ?

Il est interdit par nos lois BBIWU de vous donner l'ébauche d'une issue mais sans doute serons-nous contraints par l'intensité du désordre de laisser nommer quelque dictateur à la romaine pour une durée déterminée, qui nettoiera les écuries d'Augias. Sinon c'est la tutelle à terme !

Question subsidiaire et première à la fois : pourquoi la démocratie représentative marche-t-elle sur toutes les terres d'empire et pas en terre française ? Le Gaulois comme le celte-ibère a la culture ancestrale du chef, se méfie du populaire, et l'apport caïdal des rives sud de la Méditerranée la renforce. On peut bien sûr m'y opposer une thèse savante.

ALSP !

25 août 2024

L'insulte aux dieux de la mer

Mike Lynch et son épouse Angela Bacares dorèrent la pointe de pyramide de leur entreprise de haute technologie bayesianne par l'acquisition de la Salute, un sloop hors toutes catégories construit en 2008 chez Perini Navi à Viareggio (Italie) sur plans Ron Holland. Extravagante dans ses dimensions - c'est une spécialité du chantier italien - la Salute faisait 55m90 de long sur 11m51 de maître-bau avec un tirant d'eau de 9m73. Gréée en sloop, elle portait un mat de 75m de haut, soit cinq mètres de plus que les tours de Notre-Dame de Paris. Rebaptisée "Bayesian" par les Lynch, le super-yacht a coulé à poste au large de Porticello le 19 août dernier, vaincu par une trombe marine. Des photos de ce beau navire sont ici.

Même s'il n'était pas taillé pour les cinquantièmes hurlants, comment un super-yacht d'un tonnage de 473GT a-t-il pu sombrer en moins de cinq minutes est la question que se posent tous les architectes navals et le chantier italien le premier. On s'accorde sur l'accumulation d'erreurs du commandant. Pour être englouti de telle manière, il faudrait que tous les ouvrants soient ouverts laissant entrer des mètres-cubes d'eau par seconde (c'est possible par ces chaleurs) ; que le navire soit ancré à l'avant et à l'arrière de façon à ne pouvoir éviter la tornade en se mettant naturellement dans le lit du vent s'il n'avait eu qu'un mouillage de proue ; que la quille-dérive soit remontée annulant le couple de redressement donné par une quille lestée de presque dix mètres de profondeur, indispensable sous voile.

De quelles informations disposait le commandant quant à l'évolution du temps sur la rade de Porticello ? L'enquête anglo-italienne le dira. Mais les premières déclarations du capitaine du superyacht, qui a ramené quinze passagers à la côte dans un canot, ont été infirmées par les observations des plongeurs sur l'épave. Le mat est à poste (il n'a pas cédé), les écoutilles sont closes et aucun déchirage de la coque n'a été constaté. Par contre les secours ont été freinés dans le bateau sinon bloqués par le mobilier dispersé dans toutes les coursives où l'eau l'a poussé. Le chantier nie toute responsabilité des plans de construction et suggère de mauvaises dispositions ou un défaut d'ordres adéquats de la part du capitaine.

Mon avis individuel et gratuit ? Un cotre de 56m gréé d'un mat de 75m est un défi lancé à Neptune. Dans ces tailles, on est plus souvent gréé en ketch ou en goélette pour diviser la voilure et l'énergie qu'elle exige à l'établir. On n'imagine pas le temps qu'il faut pour envoyer toute la toile sur un sloop pareil, soit 3000m², et surtout pour la rentrer. Probablement que le yacht a été roulé par le travers et a embarqué des tonnes d'eau instantanément, créant le chaos d'une carène liquide impossible à maîtriser. Avisé, un bon capitaine aurait mis le navire en défense (voir plus bas), ce qui ne fut pas le cas. A noter qu'aucun autre bateau au mouillage de Porticello n'a subi de dommages majeurs. Le mystère déchaînera les hypothèses comme il en va de toute catastrophe inexplicable.
Quoi qu'il en soit, le Parquet de Palerme (Termini Imerese) a ouvert une enquête pour homicide par personne non dénommée du chef de naufrage par négligence. Malgré son acquittement aux Etats-Unis dans l'affaire Hewlett-Packard (11 milliards de dollars), Mike Lynch était-il toujours une cible ? Il est probable que les Italiens défendront leur industrie navale.

Y a-t-il eu récemment quelque chose d'autre d'important ? Pas que je sache ! Hormis la fièvre catarrhale ovine qui menacerait la vente de fromage de Roquefort et toute sa filière. Sinon rien ni que dalles !



Liens utiles :
- Théorème de Thomas Bayes (1701-1761)
- Lancement de la Salute
- YS Bayesian
- Wikipedia



⚓ Postscriptum :
Quelques recommandations venues du pays des typhons qui auraient pu être utiles au capitaine du Bayesian coulé à Porticello par une trombe marine.
A l'annonce d'un ouragan (typhon, tornade) rallier un typhoon shelter ou un port protégé, à défaut un mouillage sûr.
Procéder comme suit si vous êtes en rade :
  • Filer deux longueurs de chaîne par l'avant en affourchage de 60° et vérifier l'ancrage ;
  • Avertir la capitainerie du port que vous mettez votre bateau en défense ouragan et lui donner votre position GPS ;
  • Si possible (délai et conditions de mer) ramener à terre les passagers et l'équipage non essentiel (cuisinier, steward) ;
  • Démarrer un moteur pour être sûr d'avoir du courant sur les pompes de cale, aux apparaux de manoeuvre et sur les écrans ;
  • Abaisser la quille-dérive à fond dans le cas d'un dériveur lesté ;
  • Vérifier que les enrouleurs sont à bloc, amener la toile résiduelle s'il y a lieu et la ferler serrée sur la(es) baume(s) et vérifier ;
  • Vérifier l'accessibilité des extincteurs de bord et la corriger si besoin ;
  • Saisir et vérifier le(s) canot(s) de survie et tous les apparaux de pont y compris les coupe-haubans à poste ;
  • Saisir et vérifier tout le mobilier intérieur et ranger dans les coffres tous les objets partout ;
  • Dès l'assombrissement, allumer les feux de navigation, les phares de pont et fermer au verrou tous les ouvrants ;
  • Convoquer tout le monde dans le carré et se compter ;
  • Fermer les portes de communication même non étanches ; elles participent de la structure de la carène ;
  • Distribuer les gilets et les faire capeler par tous, l'un pour l'autre ;
  • Attendre dans le calme et écouter la radio.
⚓ N.B.: Si vous êtes en route en pleine mer, procéder de la même façon sauf à remplacer le mouillage par une ancre flottante et faire un point très précis avant l'événement. Si les conditions s'y prêtent, faire manger l'équipage et les passagers en consommant le frais. Avertir de la mise en défense le routeur d'à-terre si vous en avez un.

ALSP au sec !