Le parangon de vertu que représente le dêmos kratos est sanctifié dans les pays du monde libre et dans beaucoup de pays du tiers-monde où il est confondu avec la jouissance des libertés individuelles. Pour le paysan du Danube comme pour le vigneron des rives de l'Hérault - pour ne parler que des fleuves qui comptent - cet engouement pour le régime du peuple, par le peuple, pour le peuple ne signifie rien de formidable quand le pays va mal, surtout quand les imprécateurs lui reprochent ses choix électoraux. Vous l'avez voulu, vous avez voté, vous l'avez ! La banqueroute française est à compte d'autrui, le peuple souverain !
Le concept original fut largement dévoyé pour établir l'establishment en faisant cautionner des stratégies complexes, parfois existentielles pour la nation, par le Nombre de votants. Il n'est de démocratie pertinente et sincère qu'au niveau local ; le reste est affabulation et tromperie habile. De grands penseurs ont tout dit sur les dérives quasi-naturelles de la démocratie en action. Nous ne les affronterons pas. Pour n'en citer que deux, Alexis de Tocqueville et Benjamin Constant. Un troisième toujours en vie ? Hans-Hermann Hoppe et son Democracy, the God that failed.
Nous avons sous les yeux la queue de trajectoire d'un caprice pseudo-césarien actionnant le suffrage universel contre la démocratie elle-même, après avoir créé toutes les conditions du blocage politique. Devant le foutoir parlementaire obtenu sur la base d'un scrutin truqué, un vrai chef se serait saisi de l'article 16 après avoir envoyé un premier ministre au hachoir de la censure. Au lieu de quoi on pique la baleine échouée sur la plage sans crainte de la percer dans toute sa puanteur. Si la démocratie directe met en danger les fondamentaux du pays au plan national, la démocratie représentative suscite des syndicats de sortants, mal élus souvent, qui abandonnent le souci essentiel de leur charge pour la pérennisation de la prébende. Moralement, le paradigme de gouvernance est vicié voire pourri au sens premier. Et ça se voit.
Il est assez facile pour les régimes dictatoriaux - qui se réclament tous des urnes quand même - de pointer la chienlit provoquée par les errements démocratiques chez les nations addictées à leurs pratiques trompeuses de clientélisme absolu. Le spectacle de nos sociétés "dégénérées" ayant bradé leur sûreté au wokisme déconstructeur et manifestant approbation et désapprobation des décisions de l'étranger dans des vociférations diplomatiques sans voir "la poutre", en est un exemple facile. Le vrai kratos occidental, disent-ils, n'est pas dans l'assentiment populaire mais dans les fortunes. Il protège la caste mondialisée qui suggère au demos ses meilleurs fondés de pouvoir (Pompidou en son temps renverse De Gaulle, Macron en 2017 renverse Hollande). Mais parfois, ça ne marche pas, le peuple verse au fossé des émotions et se retrouve au ... Venezuela ! Nonobstant, bien d'autres dictatures ont été enfantées par le rallye de foules en liesse : qu'on se souvienne de la révolution islamique de Téhéran, du printemps arabe tunisien et plus récemment des coups d'Etat militaires au Sahel. La joie ! Celle de Dupont bien sûr, mais la joie tout de même.
Le désordre français d'aujourd'hui affaiblit d'abord la sûreté du pays. Stéphane Audrand, consultant indépendant en risques internationaux, parle de l'habitude prise par les opinions européennes d'un front russo-ukrainien calcifié au Donbass. « Ce conflit qui dure à bruit relativement bas peine à mobiliser nos dirigeants à la mesure du péril. Englués dans la politique du quotidien et surtout – comme dans toutes les démocraties – par la préparation perpétuelle d’échéances électorales, ils peinent à se mobiliser et à mobiliser nos sociétés pour l’effort qu’il faudrait mener pour être à la hauteur du défi que Vladimir Poutine lance à toutes les sociétés démocratiques et qui menace l’essence du projet européen : vivre en paix dans le respect de l’autre. Au fond, à Paris comme à Berlin, Rome ou Madrid, tant que l’Ukraine "recule un petit peu", on se dit que ça tient, laissons les fonctionnaires gérer l’aide, on se concentre sur l’urgence, les prochaines élections et le jeu politique. Mais le gouffre se rapproche et, comme en février mars 2022, les effets "falaise" ne sont jamais loin. Bref : il est vraiment navrant que les politiciens d’Europe occidentale se regardent le nombril de la situation intérieure, des échéances électorales et l’articulation des promesses pour gagner dans les urnes. Ce court-termisme est une menace terrible pour nos démocraties » (source).
Mais le péril n'est pas que celui d'une guerre ouverte si Belzebuth proroge Poutine plus loin que sa date limite de consommation. La France est au seuil d'une révolte intérieure semblable ou pire que celle des Gilets jaunes depuis que dix millions d'électeurs mécontents du système laxiste actuel ont été passés par pertes et profits par le pouvoir en place. Ayant porté à la Chambre basse le premier groupe parlementaire de l'hémicycle, ce peuple des dix millions voit ses représentants ostracisés par diverses manoeuvres de couloirs et d'appareils, dans la droite ligne de l'escroquerie du "front républicain" par désistements réciproques. Il n'est pas besoin d'être de ce bord pour comprendre les prémices de l'insurrection. A laquelle bien sûr, répondra celle du camp des insoumis, antifas et autres escrolos végans accourus en renfort. Le cri poignant de la veuve de l'adjudant Eric Comyn a résonné dans le cœur de tous les Français qui partagent en masse son exécration des politiques publiques appliquées depuis l'irruption de la gauche compréhensive au pouvoir, celle qui a sociologisé la délinquance et aboli la peine de mort. Au fait, Robert Badinter est mort, ce qui signale que ça ne marche pas à tous les coups. Les mutations rapides non contrôlées de la société française ne heurtent pas que les souchiens mais toutes les pièces rapportées venues chez nous pour un certain émerveillement culturel et patrimonial. La subversion de l'espace public par le crime organisé est une humiliation de la société dans sa dignité. Malgré sa gravité reconnue par un rapport judiciaire au Sénat (clic), elle ne préoccupe pas une classe politique absorbée par ses petites affaires.
Depuis le quinquennat calamiteux de Nicolas Sarkozy qui a remis six cents milliards d'euros au pot de la dette tout en précarisant le domaine régalien de l'Etat, la parenthèse Hollande et les dix ans d'Emmanuel Macron (+ mille milliards au pot), il n'est pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour voir qu'aucune réforme n'est conduite en profondeur, même s'il existe des études officielles sur divers soucis évidents. Les réformes qui ont passé les écluses parlementaires, retraite, immigration, sont des pseudo-réformes permettant d'attendre le prochain locataire de l'Elysée, mais sur le fond, sécurité alimentaire, sûreté urbaine, justice désidéologisée, santé, haute intensité de défense et équilibre des comptes, rien n'avance jamais, et la dépense publique continue de tout dévorer. Au pied du mur des impossibles que vont dresser au même moment les agences de notation, et la Commission européenne qui s'inquiète vraiment de notre impéritie chronique, il va bien falloir répondre quelque chose à l'extérieur, quelque chose de différent de la logorrhée lénifiante habituelle dont tous nos partenaires sont lassés. Sauf à laisser monter l'agrégation des mécontentements chauffés à blanc par les promoteurs du chaos, quelqu'un de crédible au-dessus des partis déconsidérés doit expliquer aux Français quelle est la situation réelle de ce magnifique pays devenu ce pelé, le tondu de l'Eurogroupe, qui bat l'estrade à sa seule gloire quand tous les autres lui demandent de la fermer et de se concentrer sur la banqueroute française.
Attelés à la destruction de la démocratie qu'ils veulent miner de l'intérieur par la captation des positions d'influence dans la société (presse, universités, services sociaux et préfectoraux, magistrature du siège, syndicats ouvriers) les Insoumis bordélisent à tout va le jeu parlementaire, cherchant à prévenir dans l'hémicycle toute coalition contre eux qui les éloignerait de leurs cibles "civiles". Alors quoi ?
Il est interdit par nos lois BBIWU de vous donner l'ébauche d'une issue mais sans doute serons-nous contraints par l'intensité du désordre de laisser nommer quelque dictateur à la romaine pour une durée déterminée, qui nettoiera les écuries d'Augias. Sinon c'est la tutelle à terme !
Question subsidiaire et première à la fois : pourquoi la démocratie représentative marche-t-elle sur toutes les terres d'empire et pas en terre française ? Le Gaulois comme le celte-ibère a la culture ancestrale du chef, se méfie du populaire, et l'apport caïdal des rives sud de la Méditerranée la renforce. On peut bien sûr m'y opposer une thèse savante.
ALSP !
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