23 novembre 2025

Les Occidentés

Nos valeurs se délitent sous nos yeux. Où que nous portions notre regard, nos "valeurs" reculent à commencer par la démocratie diversifiante. Une utopie. Les peuples n'ont jamais été moins consultés sur leur avenir et quand ils l'ont été, jamais moins suivis. L'Ordre naturel reprend ses habitudes à défaut de ses droits, les autocrates tranchent et coupent et leur nation s'en contente. Ne reste que l'Europe occidentale à privilégier le désordre démocratique par le principe de la liberté individuelle de ses choix, quitte à aboutir au chaos français. Au principe monarchiste éprouvé de l'autorité en haut et des libertés en bas, on a préféré chez nous l'inverse, donnant les guides au peuple dans ses représentants et laissant l'Exécutif libre d'aller et venir entre Charybde et Scylla : le désordre à tous les étages.

La COP 30 s'achève par un fiasco retentissant puisque le pays organisateur ne trouve pas son compte dans les restrictions d'émissions ; le Chili va reprendre un dictateur comme la plupart de ses voisins car il n'y a que ça qui apporte l'ordre ; les Etats-Unis déclarent la guerre aux narcotrafiquants en marchant sur toutes les souverainetés régionales ; des discussions étrangères au conflit règlent la question palestinienne sans les Palestiniens, comme d'autres discussions étrangères règlent la question ukrainienne sans les Ukrainiens. Et bientôt le sort de Taïwan sera scellé sans les Taïwanais au bénéfice des bénéfices.

- Et moi qu'aurai-je, ô Grand Condor ?
- Toi, mon petit Witkoff, tu auras la concession du tramway Tel-Aviv El-Arish. Ça te rappellera ton premier train électrique.
- Oh oui tout à fait, Grand Condor.

Et ils se partagèrent le pays philistin entre la Golden Trump Tower, le golf Trump Max sur le Wadi Gaza, le super-grand casino Maralaga, le front de mer de quarante kilomètres de long bâtis d'anglo-normandes VIP "Trump-Kushner" climatisées par le réseau d'eau glacée Trump Energies.
Ce dit, parce que l'Arabie séoudite et les Emirats auront mis au pot, très gros pot !

Entretemps, des esprits curieux s'étouffent à lire le plan de la capitulation ukrainienne concocté par le trio irrésistible Witkoff-Dmitriev-Kushner (clic) sous la probable férule de Jédi Vance, le pire ennemi de l'Ukraine au sein de l'Administration Trump selon Phillips Obrien (clac). Lequel plan, dont le brouillon est certainement russe d'après l'analyse sémantique, organise la paix à l'exclusif avantage de Vladimir Poutine et de son gang. En vingt-huit points, le paquet est toujours celui de départ : le Donbass complet, la Crimée, les oblasts du sud-est jusqu'au Dniepr, le désarmement de l'Ukraine couplé à une interdiction d'intégrer l'OTAN, la levée des sanctions et la mise hors-jeu de Volodymyr Zelensky par des élections arrangées pour ce faire. Le malheureux chef de guerre ne plaît ni à l'un, ni à l'autre. Imaginez Desproges à l'Elysée ! Des points mineurs ont été ajoutés pour d'aventure profiter d'une improbable acceptation, comme la réassurance de sécurité, le retour du patriarcat orthodoxe de Moscou, la langue russe, et cent milliards de fonds russes ciblés sur la reconstruction… etc. Mais on apprend déjà de sources généralement bien informées que le Kremlin refuserait le plan Witkoff-Dmitriev car il ignore des revendications importantes déjà brandies et qu'on ne retrouve pas dans le papelard officiel. Ce serait le comble ! L'entregent diplomatique du Grand Condor en prendrait un sacré coup, mais à confier l'affaire à des amateurs comme Steve Witkoff, on récolte une chimère invendable.

Le Sénat américain, juge en dernier ressort de la politique étrangère, s'est ému du bordel diplomatique généré par cette affaire (clic) qui finalement est très obscure quant à ses origines. Le Secrétaire Rubio a d'abord dit aux sénateurs que c'était un projet russe qui avait été divulgué à la presse (Axios) par les Russes dans son dos (Witkoff a même désigné au premier jour Dmitriev comme responsable de la fuite) pour forcer la main de l'Administration ; pour se rattraper par la suite, en endossant une co-paternité de l'œuvre avec le Kremlin dans une négociation sous-jacente qu'il venait de découvrir ! Pour arrêter la dérive, Jédi Vance a assumé le plan. Trump pour sa part n'a sans doute pas lu plus loin que les titres, il ne lit jamais rien et ne regarde du matin au soir que l'image de lui-même que lui renvoie le poste de télé placé dans le Bureau ovale non loin du bouton à CocaCola. Cette administration de pieds nickelés, gouvernée par un vieil enfant de dix ans, est l'incarnation dans la vraie vie de la cour du roi Pétaud d'où fut tiré le mot "pétaudière".

Quoi qu'il en soit, la signature du Nain maléfique, qualifié de serial liar and mass killer par Roger Wicker (GOP-Missippi), président de la Commission sénatoriale des Forces armées, ne dure pas plus longtemps que le carrosse de Cendrillon. Les chancelleries européennes (sauf Budapest et Bratislava qui signent tout de suite) conseilleront à leur gouvernement de nouer des garanties irréfragables de chaque bord et de prendre les Trumpiens à leur jeu en négociant le Plan point par point avec tout le temps nécessaire à la consultation de toutes les parties chaque fois. Vingt-huit fois ! Ce qui ne sera pas du goût de Trump l'impatient et pourrait bien dévoiler le vrai motif de la démarche : son refus. Méfiant, il a donné jusqu'à Thanksgiving jeudi pour lui répondre, parce que vendredi il rentre en Floride jouer au golf et prendre un bain moussant.

L'inacceptabilité du projet en l'état expliquerait que la Maison Blanche veuille provoquer une position ferme des deux belligérants occidentés que sont l'Ukraine d'aujourd'hui et la "Coalition des Volontaires". En fait, et l'avenir proche va nous l'infirmer ou nous le confirmer, l'Administration Trump prendrait prétexte du refus européen assez probable pour annoncer son retrait du dossier. La queue de trajectoire de cette balistique diplomatique, initiée par on ne sait qui à Washington si ce ne sont les Russes eux-mêmes, viserait à se dégager du terrain boueux russo-ukrainien pour consacrer du temps aux accords juteux d'Abraham et pour sucer la cerise de la riviera gazaouie.

Auquel cas, nous avons pratiquement toutes les réponses sauf une : les Américains continueraient-ils ou pas à fournir le renseignement tactique actuel en cas de refus ? Pour le reste, nous savons que nous sommes impuissants, par notre faute, par bêtise et naïveté, sauf à entrer dans le conflit en commençant par un Skyshield (No-Fly Zone) que nous procurerions à l'Ukraine avec nos propres avions pilotés par nos aviateurs, avec pour mission d'abattre tout ce qui volera vers nous. Est-ce l'idée à creuser de Nathalie Loiseau ? A défaut, c'est Munich 38. L'Ukraine capitule. Ce n'est pas impossible tant leur fatigue est grande. Mais Trump, défrisé par les critiques sévères surgies de toute part, a déjà annoncé qu'il avait un plan de rechange au cas où… avant de repartir dans le triangle Chine-Japon-Taïwan qui se réchauffe. Pouce !

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Nous allons nous attacher aux gens de ce triangle chaud-bouillant, aux gens du commun, pas aux dirigeants, parce que si les livrets diplomatiques du grand jeu sont bien connus, les gens ne s'y reconnaissent pas tous.
On croit par exemple que les Taïwanais sont derrière leur président comme un seul homme à défendre leur liberté et leur mode de vie. Il n'en est rien. D'ailleurs le Yuan législatif a échappé aux indépendantistes. Pourquoi ?
Le peuple taïwanais n'est pas homogène. Il est partagé entre les aborigènes formosans, les immigrés de longue date du Foukien qui ont donné leur langue à Formose, et les pieds noirs continentaux arrivés en 1950 avec l'armée vaincue de Tchang Kai-chek. Les premiers et les seconds ont connu par leurs parents l'occupation japonaise de 1895 à 1945 et s'en trouvaient bien - l'empreinte nippone demeure dans beaucoup de compartiments sociaux - puis vint la colonisation brutale par les nationalistes assoiffés de revanche qui fit pas mal de victimes chez les autochtones récalcitrants.
Les partis autochtones défendent les particularités de l'île et cherchent à rompre avec la "mère-patrie" qu'ils n'ont jamais vue.
Le parti du Kouomintang et le patronat sont sur un axe d'apaisement et veulent négocier la formule proposée antérieurement par Pékin, "un pays - deux systèmes", même s'ils ne se font aucune illusion sur l'évolution du concept une fois qu'il sera appliqué ; si l'argent coule, ils se feront une raison.
La Chine populaire d'aujourd'hui est devenue la seconde puissance mondiale et, quelque part, tous les Chinois en sont fiers. Beaucoup de Taïwanais cachent cette fierté dans leur cœur. Donc attention à certains emballements occidentaux en avant de la main. La main peut ne saisir que le vide.

Pour les Chinois du continent, Taïwan est chinoise depuis toujours ainsi que toutes les îles occupées par le Japon, et bien sûr toute la Mer de Chine méridionale puisque elle s'appelle comme ça. Je suis à jeun d'en avoir rencontré un seul qui accepterait de rationaliser sa position. C'est un fait in.dis.cu.ta.ble pour eux.

Le réflexe est identique sur l'énorme débit du Japon souscrit en Chine lors de la grande guerre sino-japonaise. L'Empire du soleil levant n'arrivera jamais à payer sa dette. Ce qui n'empêche pas la classe moyenne chinoise de priser les produits japonais réputés de meilleure qualité que les produits domestiques et d'aller visiter le Japon pour un oui pour un non parce que sa modernité, son extravagance, sa gastronomie, sa culture maritime et ses traditions obscures les attirent. Des millions de Chinois vont voir le Japon. Certains y envoient leurs enfants passer le bac.

On comprend déjà mieux la réaction épidermique du gouvernement chinois aux quasi-insultes du nouveau premier ministre nippon à l'endroit des revendications communistes sur le détroit de Taïwan. Et comme on pouvait s'y attendre, la société chinoise a suivi en annulant un demi-million de vols d'ici la fin de l'année et en refusant de manger du poisson importé du Japon.

Mais le Japon de tous les jours pulse autant que la Chine, et les gens n'ont pas le temps de se préoccuper de la dispute en cours ; il y en eut, il y en aura. Les gens s'en foutent et Sanae Takaïchi surfe sur leur désintérêt. Elle réarme et suce Trump en sachant que le soutien américain branle dans le manche. Les Japonais sont à Ramstein (RFA) et observent la danse macabre américaine avec l'Ukraine, couplée à l'attaque frontale de leurs propres alliés. Ils ne disent rien mais ont fait leur religion sur le futur du Pacifique. Ils ne doivent compter que sur eux-mêmes, et ils ont les moyens d'y parvenir en rusant un peu avec le statut pacifiste hérité de la guerre. C'est pourquoi Takaïchi s'est plantée à mon avis. Il fallait assurer la Chine d'une ère économique nouvelle "gagnant-gagnant" comme dit Xi Jinping, faire le voyage de Pékin, et pousser dans la même foulée les arsenaux, tout en jurant ses grands dieux qu'il ne s'agit que de contribuer à la paix de la région, cette grande région qui va guider la planète demain... Mr. Mitsuhirato aurait su le faire.

Je termine sur une redondance.

Aujourd'hui les Chinois ont compris que la liberté individuelle de choisir chacun n'importe quoi selon son bon caprice ne mène à rien. Le concept de démocratie a été décapé à l'acide par la propagande officielle comme contre-performant, la preuve sous vos yeux. A ceux qui en doutent, je conseille d'aller voir.
Même le Contrôle Social est accepté puisqu'il sécurise la société au quotidien, et c'est foutrement vrai par rapport à chez nous, ce qui n'empêche pas la classe moyenne et la jeunesse d'avoir deux portables et de tout savoir des VPN. S'ajoute au sentiment de sécurité, celui de progrès indéfini par la numérisation du quotidien en avance de vingt ans sur le nôtre. Faut pas les prendre pour des quiches non plus !
Et quoiqu'on vous raconte sur Hong Kong meurtrie par la sinisation de sa société, est maintenant faux. Les Hongkongais n'ont pas plus de temps à consacrer à la stratégie que les Japonais. Ils ont intégré la nouvelle donne, en prennent leur parti et sont revenus à leurs affaires. Jimmy Laï (Apple Daily) s'est battu pour la démocratie, autant dire pour rien en Asie, et il moisit en prison. Ceux qui ont émigré sont contents de l'avoir fait, ceux qui sont restés, aussi !

On sait bien les défis colossaux que la Chine populaire affronte à l'intérieur, mais le peuple vaque à la seule occupation qui vaille, gagner de l'argent par le travail, et sur ce plan, on est morts dans notre hamac social à crédit. Demain est pour eux un autre jour avant le lendemain du lendemain jusqu'à la fin des temps. Ce peuple existe depuis cinq mille ans au même endroit. C'est une meule qui use ceux qui s'y frottent. Un peu d'intelligence ne nuit pas !

PS : bémol du jour : le Fujian de 72000 tonnes est raté ; les trajectoires de ses trois catapultes électromagnétiques se croisent, il est obligé de les utiliser l'une après l'autre, ce qui annule l'intérêt d'en avoir trois.


ALSP !

2 commentaires:

  1. Hier dimanche à Genève, l'Europe E3 (RU, FRA, RFA) a édité son contre-plan au Plan Trump (dont le brouillon original est russe) en repassant les 28 points un par un, jouant ce faisant le jeu américano-russe pour les impliquer dans une solution réalisable. Il est difficile de refuser le contre-plan d'un bloc. Va leur falloir argumenter.
    Source Reuters :
    https://www.reuters.com/business/finance/full-text-european-counter-proposal-us-ukraine-peace-plan-2025-11-23/

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  2. J'habite les Alpes maritimes ou les ukrainiens sont nombreux: du sdf, un peu punk à chien qui boit des vilaines bières à 1 euro le litre jusqu'au CSP++++ qui roule en tesla et met ses gosses en école privée....Bref tout un éventail de population qui ont deux points communs: être ukrainiens et ne pas être la bas. J'en ai vu beaucoup aussi dans l'Italie frontalière. Alors quand je pense à mon neveu chasseur alpin qui lui est en Roumanie, je me dis que peut être .....?!?! Et surtout je ne fais pas le rapprochement non plus avec le scandale de corruption qui touche les strates supérieures de l'état ukrainien. Ca serait du populisme.

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