30 novembre 2025

Esprit de Salomon es-tu là ?

« Je suis un narcisse des champs, un lys des vallées. Comme un lys au milieu des épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles. Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé parmi les jeunes hommes. J'ai désiré m'asseoir à son ombre, et son fruit est doux à mon palais. Il m'a fait entrer dans la maison du vin ; et la bannière qu'il déploie sur moi, c'est l'amour. Soutenez-moi avec des gâteaux de raisins, fortifiez-moi avec des pommes ; car je suis malade d'amour. Que sa main gauche soit sous ma tête, et que sa droite m'embrasse ! Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas l'amour, avant qu'elle ne le veuille...» (amorce du deuxième cantique de Salomon)

En notre ère de pourriture, béni soit le poète, le seul à nous faire souvenir que l'espèce humaine n'est pas que crimes et défauts. Pensait-il à la Reine de Saba, ce fils de David, quand il gravait son parchemin, lettre à lettre, à l'encre de charbon de bois, le cœur noué d'amour en écoutant le rire du harem jouant autour de la fontaine murmurante ? Ce qui ressort du Cantique est le temps suspendu, comme une éternité dès qu'on se défait de la vanité addictive. Où que nos regards se portent aujourd'hui, le sang jaillit, d'où que le vent vienne, il apporte l'odeur du choléra dysentérique, la puanteur référente. Ne faites pas votre inventaire, vous pourriez en tomber malades.

Pourquoi le Cantique des cantiques dans son érotisme explicite fut-il agrégé au Tanakh, après bien des débats dans les cercles hébraïques ? Parce qu'il consacre la divinisation de l'amour âme et chair. Parce qu'il est l'ombre chinoise de l'amour que Dieu porte à sa création, du moins c'est ce qu'ont trouvé les savants. Mais il condamne en retour l'absence d'amour et in fine la chasteté, mettant en porte-à-faux le principe de célibat des prêtres catholiques. C'est donc une affaire grave, si grave d'ailleurs que tous les conciles depuis le premier à Elvire (Grenade) en 305, l'avaient à l'ordre du jour. C'était déjà un peu tard, si on y réfléchit bien, par rapport à la catéchèse du Christ en personne qui n'a jamais tranché la question, pas plus que saint Paul qui s'en approche dans une épître au Corinthiens en canalisant le désir dans le mariage, mais qui ne bloque pas la question comme le feront plus tard les conciles médiévaux submergés par le concubinage général du bas-clergé. Concubinage accepté souvent par les prélats du fait que la fornication matrimoniale produisait moins de désordres sociaux que l'amour libre. Que dire de la paix des villages quand l'autorité locale incontestée était un célibataire, un homme dans toute sa force en ses désirs refoulés ?

Ego flos campi et lilium convallium. Sicut lilium inter spinas, sic amica mea intr filias. Sicut malus inter ligna silvarum, sic dilectus meus inter filios. Sub umbra illius, quem desideraveram, sedi, et fructus eius dulcis gutturi meo. Introduxit me in cellam vinariam, et vexillum eius super me est caritas. Fulcite me uvarum placentis, stipate me malis, quia amore langueo. Laeva eius sub capite meo, et dextera illius amplexatur me. Adiuro vos, filiae Ierusalem, per capreas cervasque camporum, ne suscitetis neque evigilare faciatis dilectam, quoadusque ipsa velit...(la traduction est au-dessus)

Les affaires de mœurs n'ont jamais disparu de l'Eglise catholique, mais aujourd'hui où l'effectif du clergé est à l'étiage, elles sont plus visibles et carrément condamnées dans l'opinion. Vivre au XXIè siècle "dans le siècle" convoque au-dessus de chaque clerc une forme de surhumanité pour résister aux tentations toujours plus pressantes, tant et si bien qu'on ne doute plus que des curés soient en ménage comme leurs ancêtres du Moyen Âge. Combien y en a-t-il est difficile à savoir, les partisans du célibat, tous des hommes, minorent les estimations, les femmes les majorent. Il existe même une association des femmes de curés qui s'appelle Plein Jour et qui est domiciliée dans le département le plus "avancé" dans la pratique du droit naturel, les Pyrénées atlantiques.

Qu'est-ce à dire pour l'avenir ? La survie du christianisme viendra de la jeunesse. Pélés et jamborees nous montrent qu'ils sont moins friands de droit canon par la lecture des décrétales que d'engagement sociétal dans le cadre plus général de la réparation des injustices, tant celles de conditions d'existence que celle des capacités personnelles à les affronter. La charité est une tradition ancestrale, comme dans toutes les religions, mais l'institution catholique met en culture la misère, en prend soin, favorisant le soulagement de la peine à son traitement préventif. Dans cet élan caritatif et humanitaire, l'ordination de prêtres en nombre suffisant pour encadrer une ressource en augmentation de croyants plus exigeants que leurs aînés ne pourra faire l'impasse de leur mariage et de leur genre. L'hostilité à cet aggiornamento tant attendu se fonde sur des pratiques d'ascèse qui ne peuvent se maintenir dans la vie de tous les jours hors des clôtures monacales ; quant aux refus des femmes par les Monsignori, il pêche comme le célibat d'une absence criante de décision de la part du Christ en personne. A ce que nous disent les Evangiles, il vécut entouré de femmes et de disciples, mais de femmes surtout. Et si l'on en croit le suaire, il était assez beau gosse aussi. Qu'à son époque, les femmes aient eu un statut social décalé par rapport aux hommes - c'était des Hébreux quand même - ne peut les discriminer de la prêtrise puisqu'à aucun moment il ne les proclama inaptes. S'il choisit douze apôtres hommes c'est aussi parce de force il pouvait avoir besoin et peut-être aussi - c'est une thèse personnelle - parce que les hommes étaient plus influençables que les femmes, donc plus disciplinés, moins discutailleurs. Marions donc les prêtres et ordonnons les femmes. L'effectif remontera dans la quiétude des instincts apaisés.

Difficile pour finir de passer à côté d'un principe manichéen qui est, à mon avis, l'encouragement le plus fort à tolérer la "bête" humaine dans un schéma évolutif : pour les Parfaits, aucun homme n'est au même stade d'évolution vers l'expiation finale à travers ses vies successives. En fin de process, ceux qui ont abouti à l'expiation considèrent le désir comme un péché abominable contre l'Esprit, source de la connaissance émanée ; alors que ceux qui n'en sont qu'au début éprouvent cette tentation naturelle comme d'autres la faim ou la soif. Dépendant de la Matière gouvernée par l'instinct (bestial), ils doivent être accompagnés par le pardon vers leur amélioration. Il faut avoir pitié de ceux qui « brûlent » comme on disait alors, et compter sur l'émoussement de la libido qui transmue la passion en amitié et l'amour physique en chasteté de fait. Le Bien et le Mal ne s'affrontent pas, le premier peut dissoudre le second. Fin de l'aparté cathare.

Mais de poètes, nous avons aussi les nôtres. De qui est ce joli sonnet ?

« Je veux mourir pour tes beautés, Maîtresse,
Pour ce bel œil, qui me prit à son hain,
Pour ce doux ris, pour ce baiser tout plein
D’ambre et de musc, baiser d’une Déesse.

Je veux mourir pour cette blonde tresse,
Pour l’embonpoint de ce trop chaste sein,
Pour la rigueur de cette douce main,
Qui tout d’un coup me guérit et me blesse.

Je veux mourir pour le brun de ce teint,
Pour cette voix, dont le beau chant m’étreint
Si fort le cœur que seul il en dispose.

Je veux mourir ès amoureux combats,
Soûlant l’amour, qu’au sang je porte enclose,
Toute une nuit au milieu de tes bras. »


ALSP !

9 commentaires:

  1. Pierre de Ronsard, bien sûr ! Quel talent et que d'heureux souvenirs aussi...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est l'italien et le français qui ont produit les plus belles lettres d'amour, les plus délicates. Le génie de ces langues est dans leur finesse des suggestions.

      Supprimer
  2. A choisir un autre, je propose François Coppée dans Le Cahier rouge :

    L'espoir divin qu'à deux on parvient à former
    Et qu'à deux on partage,
    L'espoir d'aimer longtemps, d'aimer toujours, d'aimer
    Chaque jour davantage ;

    Le désir éternel, chimérique et touchant,
    Que les amants soupirent,
    A l'instant adorable où, tout en se cherchant,
    Leurs lèvres se respirent ;

    Ce désir décevant, ce cher espoir trompeur,
    Jamais nous n'en parlâmes ;
    Et je souffre de voir que nous en ayons peur,
    Bien qu'il soit dans nos âmes.

    Lorsque je te murmure, amant interrogé,
    Une douce réponse,
    C'est le mot : – Pour toujours ! – sur les lèvres que j'ai,
    Sans que je le prononce ;

    Et bien qu'un cher écho le dise dans ton cœur,
    Ton silence est le même,
    Alors que sur ton sein, me mourant de langueur,
    Je jure que je t'aime.

    Qu'importe le passé ? Qu'importe l'avenir ?
    La chose la meilleure,
    C'est croire que jamais elle ne doit finir,
    L'illusion d'une heure.

    Et quand je te dirai : – Pour toujours ! – ne fais rien
    Qui dissipe ce songe,
    Et que plus tendrement ton baiser sur le mien
    S'appuie et se prolonge !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci René. Qui n'a connu la respiration du baiser n'a rien connu. C'est comme inhaler l'âme !

      Supprimer
  3. Un des poèmes d'amour les plus forts est pour moi celui de la Reine Margot à son mari de Navarre, en plus dans une versification à 6 pieds très difficile. J'envoie :

    Nos deux corps sont en toi,
    Je le sais plus que d'ombre.
    Nos amis sont à toi,
    Je ne sais que de nombre.
    Et puisque tu es tout
    Et que je ne suis rien,
    Je n'ai rien ne t'ayant
    Ou j'ai tout, au contraire,
    Avoir et tout et tien,
    Comment se peut-il faire ?
    C'est que j'ai tous les maux
    Et je n'ai point de biens.
    Je vis par et pour toi
    Ainsi que pour moi-même.
    Tu vis par et pour moi
    Ainsi que pour toi-même.
    Le soleil de mes yeux,
    Si je n'ai ta lumière,
    Une aveugle nuée
    Ennuie ma paupière.
    Comme une pluie de pleurs
    Découle de mes yeux,
    Les éclairs de l'amour,
    Les éclats de la foudre
    Entrefendent mes nuits
    Et m'écrasent en poudre.
    Quand j'entonne les cris,
    Lors, j'étonne les cieux.
    Je vis par et pour toi
    Ainsi que pour moi-même.
    Tu vis par et pour moi
    Ainsi que pour toi-même.
    Nous n'aurons qu'une vie
    Et n'aurons qu'un trépas.
    Je ne veux pas ta mort,
    Je désire la mienne.
    Mais ma mort est ta mort
    Et ma vie est la tienne.
    Ainsi, je veux mourir
    Et je ne le veux pas.

    RépondreSupprimer
  4. Si vous faites un concours de poésie, j'y viens avec le "Vas" de Verlaine qui est un hymne à la roideur assez peu connu.

    Admire la brèche moirée
    Et le ton rose-blanc qu’y met
    La trace encor de mon entrée
    Au paradis de Mahomet.
    Vois, avec un plaisir d’artiste,
    Ô mon vieux regard fatigué
    D’ordinaire à bon droit si triste,
    Ce spectacle opulent et gai,
    Dans un mol écrin de peluche
    Noire aux reflets de cuivre roux
    Qui serpente comme une ruche,
    D’un bijou, le dieu des bijoux,
    Palpitant de sève et de vie
    Et vers l’extase de l’amant
    Essorant la senteur ravie,
    On dirait, à chaque élément.
    Surtout contemple, et puis respire,
    Et finalement baise encor
    Et toujours la gemme en délire,
    Le rubis qui rit, fleur du for
    Intérieur, tout petit frère
    Epris de l’autre et le baisant
    Aussi souvent qu’il le peut faire,
    Comme lui soufflant à présent…
    Mais repose-toi, car tu flambes.
    Aussi, lui, comment s’apaiser,
    Cuisses et ventre, seins et jambes
    Qui ne cessez de l’embraser ?
    Hélas ! voici que son ivresse
    Me gagne et s’en vient embrasser
    Toute ma chair qui se redresse…
    Allons, c’est à recommencer !
    (Vas Unguentatum)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Aymeric. Nous avons tout oublié !!!
      (K.)

      Supprimer
  5. Pour clore le chapitre, je propose un poème d'Enheduanna, princesse sumérienne de la ville d'Ur, à son roi Shu Sin. Traduit du cunéiforme sumérien, j'ai mis la ponctuation de ma fantaisie en supposant que la tablette est incomplète.

    Époux, cher à mon cœur
    Grande est ta beauté, douce comme le miel
    Lion, cher à mon cœur
    Grande est ta beauté, douce comme le miel
    Tu m’as captivée, laisse-moi demeurer tremblante devant toi
    Époux, je voudrais être conduite par toi dans la chambre
    Tu m’as captivée, laisse-moi demeurer tremblante devant toi
    Lion, je voudrais être conduite par toi dans la chambre.
    Époux, laisse-moi te caresser
    Ma caresse amoureuse est plus suave que le miel.
    Dans la chambre, remplie de miel
    Laisse-nous jouir de ton éclatante beauté
    Lion, laisse-moi te caresser
    Ma caresse est plus suave que le miel
    Époux, tu as pris avec moi ton plaisir
    Dis-le à ma mère, et elle t’offrira des friandises
    A mon père, et il te comblera de cadeaux
    Ton âme, je sais comment égayer ton âme
    Époux, dors dans notre maison jusqu’à l’aube
    Ton cœur, je sais comment réjouir ton cœur
    Lion, dormons dans notre maison jusqu’à l’aube
    Toi, puisque tu m’aimes
    Donne-moi, je t’en prie, tes caresses
    Mon seigneur dieu, mon seigneur protecteur
    Mon Shu-Sin qui réjouit le cœur d’Enlil
    Donne-moi, je t’en prie, tes caresses
    Ta place douce comme le miel
    Je t’en prie pose ta main sur elle
    Pose ta main sur elle
    Referme en coupe ta main sur elle comme un manteau Gishban

    RépondreSupprimer
  6. Consolantes miscellanées poétiques dont nous devons vous remercier.

    RépondreSupprimer

Les commentaires sont bienvenus et modérés a posteriori. Leur suppression éventuelle n'en donne pas le motif. Dites-nous tout !