05 janvier 2025

Premier ronchonnement

J'aurais aimé que le premier article de Steppique Hebdo pour l'an neuf soit teinté d'enthousiasme et que les auspices soient favorables à mon pays. Mais les corneilles de la falaise tournent toujours au-dessus du nid de pies de mon jardin, hostilité instinctive que rien n'atténuera jamais. Le monde est un chaos, par la faute des empires revenus qui cherchent une revanche à deux siècles de progrès occidental. Ça leur est insupportable. Toute entrave au fonctionnement d'une mondialisation raisonnable est positive dans la trajectoire d'un impossible destin impérial. Nous tuer est un suicide pour eux. L'intelligence, la créativité, le goût d'apprendre, la tentation de s'enrichir par sa propre valeur ajoutée, la liberté intrinsèque à l'espèce humaine sont étrangers au paradigme totalitaire qui encaserne les idées et jusqu'aux émotions. Plutôt que de parler de la Russie moribonde et de la Chine imprudente dans son hubris hégémonique, le parallèle est à faire aujourd'hui entre deux puissances moyennes régionales que nous, Français, connaissons bien. Le Maroc et l'Algérie.

Le lien a été donné par l'actualité malheureuse de l'arrestation de l'écrivain Boualem Sansal en Algérie. Que lui reproche le pouvoir algérien ? De propager l'idée que les terres d'Oranie étaient historiquement marocaines ; et que c'est le colonisateur français qui en a détaché de grands lambeaux au bénéfice du département français contigu au royaume chérifien. C'est un fait avéré. La question de la frontière devait être débattue entres "frères" après le retrait français. Il n'en fut jamais plus question du côté d'Alger et la frontière fut périodiquement fermée à chaque crise d'urticaire algérienne. Mais les pays sont toujours là, qui se comparent.

D'un côté, une junte civile issue des cadres de l'armée de libération de l'extérieur qui a capté tous les leviers de pouvoir, la rente pétrolière et les quotas d'importation, une famille par chapitre de la nomenclature douanière. Ce pouvoir légitimé par des fabrications historiques est complètement gelé. Soixante-deux ans après l'indépendance complète, les autorités algériennes continuent à faire porter le chapeau de leur légendaire incurie et de leurs nombreux dysfonctionnements à l'ancienne puissance coloniale, bien que celle-ci ait par tous les moyens essayé de favoriser ses anciens départements d'Afrique du nord. En 1960, le challenge économique du Plan pour l'Algérie était d'entrer en concurrence avec l'Espagne de Franco ; d'où le plan de Constantine etc.
De l'autre, vers l'océan, une monarchie gouvernée au bon sens qui ne s'en laisse pas compter mais qui d'abord agit plus qu'elle ne parle.

Mohammed VI n'est pas Louis XV mais il a appris de son père à laisser gouverner le Makhzen à la manière des intendants de l'ancienne France. Pour les primo-accédants au blog Steppique Hebdo, c'est l'organisation administrative installée par les Saâdiens au XVIe siècle. Ils établirent partout des «makhzen», des magasins de stockage de céréales pour assurer le ravitaillement des populations en période de sécheresse ou de disette. Le terme devint par dérivation synonyme de « pouvoir central » organisé et répondant aux besoins des populations non seulement alimentaires, mais aussi aux impératifs de sécurité, d'ordre et de quiétude. Le mot « makhzen » est inscrit dans la mémoire collective marocaine. Il est souvent utilisé, spontanément, pour évoquer les notions d'Etat, d'administration et en général l'action publique, dans toutes ses déclinaisons. De la sécurité des personnes et des biens jusqu'à la protection des frontières du pays en passant par l'application des lois et règlements. C'est l'exercice de l'autorité par le gouvernement central, ainsi que les missions de l'ensemble de l'administration, autant décentralisée que déconcentrée. (©journal Le360 2022).

Le roi et ses ministres desserrent progressivement l'étau islamique, encouragent l'investissement par une stabilité politique réelle et développent le pays sur capitaux étrangers et nationaux. Les projets actés sont nombreux qui font pâlir le voisin bloqué dans ses obsessions post-coloniales. Des entreprises françaises y prospèrent déjà comme Renault à Tanger-Med, Engie à Dakhla (ex-Sahara occidental), et la dernière visite du président Macron au roi a rapporté dix milliards d'euros de projets dont le TGV Tanger-Marrakech et peut-être une ligne haute tension de 1400 km de Casablanca à Dakhla.

Le Sahara espagnol est bien mieux logé dans le royaume chérifien que dans la République hystérique d'Algérie (les Sahraouis réfugiés à Tindouf sont les dindons de la farce démocratique). L'ONU, et de Berlin à Washington, tous les pays qui comptent et qui comptent en conviennent.
Même si tout n'est pas rose, les partenaires du Maroc ont bon espoir que le royaume s'en sorte et implémente son ambition de pôle économique dominant l'ancienne AOF, alors qu'il y a peu d'espoirs pour l'Algérie. Pendue à la monoculture pétrolière, fermée aux influences étrangères et séquestrée par les imams, elle ne se développe pas dans les autres compartiments économiques et n'exporte quasiment rien sauf des bras. On voit bien que son influence est nulle en zone sahélo-saharienne dont elle a le plus grand territoire, Alger se limitant à surveiller la tache d'huile de la peste islamiste sur ses confins pétroliers.

Face à face, deux nations jadis imbriquées, l'une aujourd'hui bénéficie d'un Etat proactif qui a son projet national d'enrichissement général par la libération des initiatives et la sûreté des investissements ; l'autre est confinée dans les remugles d'une revanche périmée qui n'intéresse qu'elle, et dont la jeunesse n'a pour unique slogan que celui de "partir".

Entretemps, nous avons quitté le Sahel, en bon ordre, sous la pression transmise aux juntes militaires par les services russes opérant à la vue et à la barbe du renseignement français. Ce n'est pas glorieux mais au moins nous n'avons pas eu à tirer sur une foule chauffée à blanc qui aurait menacé nos soldats. Qui le déplore ? Quelques nostalgiques du temps béni des colonies (béni à raison quand on voit les temps actuels).
Le Sahel entre dans la nuit de l'histoire et ce n'est pas la faute de ses peuples mais bien celle des ses dirigeants avides de richesses facilement captables. Jusqu'ici, le monde s'intéressait au Sahel parce que la France intéressait le monde au Sahel. Elle avait même convoqué d'autres pays à l'aider dans la pacification de cet immense territoire et ils étaient venus en confiance dans le cadre plus général du nécessaire développement d'un quart-monde accueillant. La Russie qui ne prospère que sur le chaos chez autrui, a détruit le projet en utilisant l'outil corruptif le plus classique et les communications populaires modernes pour le bourrage de crâne. Qu'elle nous montre désormais ce qu'elle sait faire.

Avec la rupture des relations entre la France et les juntes, les lumières du Sahel se sont éteintes sur la mappemonde. Il peut leur arriver désormais n'importe quoi, il n'y aura pas de réactions de l'opinion internationale, sauf celles de doctorants spécialisés, mais les gens s'en désintéressent déjà. Le Sahel a basculé dans le camp de l'indifférence dans lequel souffrent les provinces orientales du Congo belge ou les Karen de Birmanie. La seule conséquence de cette extinction médiatique sera une hausse de la pression migratoire, car la vie pas facile déjà va y devenir trop dure et dangereuse pour les braves gens. Leur viendrait-il à l'idée de partir en Russie via le nouveau quai russe de Tobrouk ? Même pas !

ALSP !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires sont bienvenus et modérés a posteriori. Leur suppression éventuelle n'en donne pas le motif. Dites-nous tout !