Si vous attendez (ce dont je doute) une analyse du rangement en bataille des partis politiques pour les élections législatives du 30 juin, vous serez certainement déçus ce lundi car j'ai jugé le vacarme médiatique suffisamment assourdissant pour m'éloigner du cirque électoral. Les frontières du ridicule et de la veulerie ont été franchies, les lignes rouges soigneusement gommées, l'allèchement des candidats par la juteuse prébende écrasant toute raison. Le plat de lentilles d'Esaü est presque partout la règle morale. Il reste néanmoins par ci par là des gens honnêtes en péril. A vous de les trouver et de sauver le soldat-député méritant. Un petit événement d'importance est passé ailleurs sous les radars de la presse mainstream, mais il a été signalé par la Charte de Fontevrault. C'est l'extinction d'une colère, emblématique d'une époque révolue, celle de la charité aveugle. On reviendra aux législatives la semaine prochaine parce qu'il faut laisser décanter les espérances.
Qui donc a réuni vingt mille fidèles pour sa dernière messe pontificale ?
Le pape Machin, me dit-on dans l'oreillette. Vous n'y êtes pas. Le même jour, des milliers d'autres dans d'autres villes se sont réunis dans des églises en écho de cette finale aux grandes orgues. C'était le 22 janvier 1995 en la cathédrale d'Evreux. Ce vendredi-là, Jacques Gaillot, évêque du cru en un diocèse jureur, disait sa dernière messe d'épiscope avant de rejoindre in partibus l'évêché fantôme de Parthenia. Il n'est pas d'exemple dans l'histoire moderne de l'Eglise romaine d'une autre révocation d'un prélat aussi populaire. Sa destitution par SS Jean-Paul II avait noyé la nonciature sous les courriers de protestation.
Evêque scandaleux jusqu'à la caricature ou évêque scandalisé ?
Le stigmate du scandale poursuivra toute sa vie Mgr Gaillot, donnant du grain à moudre à tout le monde, à charge comme à décharge. Grand brûlé du Concile Vatican II, il avait cru en la promesse d'une lutte à mort contre le cancer social de la pauvreté et de l'exclusion, en oubliant que l'Eglise s'inscrit toujours sur une épure politique qu'elle ne maîtrise plus. Meilleur tribun que diplomate, il pètera les plombs à maintes reprises pensant emporter une décision, une réforme, une réorientation par le tapage. Il fut vaincu par la raison d'Etat, d'autant que ses disciples in Parthenia se situaient au cœur même de l'Eglise. Laïcs engagés dans le service des paroisses, diacres, catéchistes, tous confrontés à la pénurie de vocations qu'ils attribuent à la rigidité des principes gouvernant la doctrine sociale de l'église, ignorant le ressac de la déchristianisation qui remonte à la Renaissance ; tous ceux-là, des milliers, suivaient Monseigneur Gaillot dans ses exaspérations, ses foucades, ses maladresses contre-productives, son mal-être et son tropisme de bon samaritain. Il prendra sa revanche sur l'institution en mettant du contenu dans son évêché des sables disparu. Il en fit une structure de combat à son idée contre la misère protéiforme jusqu'à ce que ses forces le quittent. Jusqu'au bout il a dénié aux hommes-juges le droit de juger leurs semblables, reportant leur comparution au Jugement dernier. Par son rousseauisme, il laissait passer la charité avant la justice, ce qui ne pouvait que le pousser au fossé. Il y roula maintes fois et parvint toujours à s'en extraire. Sa devise épiscopale aurait pu être : "De bec et d'ongles ad limitum".
Un cancer foudroyant du pancréas l'a emporté il y a deux mois à Paris. La messe d'obsèques fut présidée par l'archevêque de Paris à Saint-Médard. C'était comble bourré. Six évêques et quarante prêtres sont venus entendre le message spécial du pape François autour du corps astral sans cercueil du défunt qui avait donné sa guenille charnelle à la science. C'était le 19 avril dernier. Jusqu'au bout, l'Eglise se souviendra de Jacques Gaillot.
L'homélie du spiritain de service fut un modèle du genre, qui se termine ainsi :
« ... La poésie de Jacques a longtemps rimé avec Partenia, cette auberge dans laquelle il a conduit des milliers de blessés de la vie, de l’Église, de la société. Des femmes, des hommes, des jeunes, qui dans l’église et hors de l’église, avaient le sentiment de ne pas exister, celles et ceux qui se sentaient laissés au bord du chemin, non concernés par ce qui leur était proposé. Ils trouvaient là, dans ce diocèse virtuel, inventé pour eux, une ressource de foi, une proposition d’espérance, un havre de paix, un baume d’amour, une humanité bien charnelle qui leur permettaient de cicatriser leurs profondes blessures.
Avec Droits devant, les engagements rimaient avec un soutien indéfectible aux sans-papiers, ces migrants en quête de vie, parqués dans des bidonvilles insalubres, dans nos banlieues, souvent pas loin de déchetteries, de lignes de chemin de fer, d’autoroutes ou de cimetières.
« A travers l’art du sens du service qui était devenu chez lui comme une seconde nature, Jacques a su se rendre le prochain de tous ces blessés, qui avaient besoin, à un moment de leur vie, d’une parole, d’un geste, d’un soutien, d’un regard bleu de compassion. Et si notoriété il a eu, il s’en est servi, au cours de ses nombreuses manifestations, pour le soutien de ces exclus, de ces incompris, de ces souffrants.
N’était-ce pas là la place d’un évêque ? Question bien ancienne ! N’était-ce pas la place de Jésus sur les chemins de Palestine, à la table des publicains et des pécheurs, se laissant toucher par des femmes de mauvaise vie ? La croix n’était effectivement pas la place du fils de Dieu, mais l’homme l’y a bien crucifié !
Jacques, que le poème de ta vie, continue encore longtemps à enduire avec le baume de l’amour, les blessures des mutilés que notre monde, notre société, notre église laisse au bord du chemin ! »
(texte intégral avec le portrait du défunt)
ALSP !
Un fidèle in Parthenia qui était à Saint-Médard ne put s'empêcher de remarquer à haute voix que Jacques Gaillot était encore "ailleurs" en ce dernier jour.
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