Enfant, j'ai vécu en face d'un garage automobile percé dans le rempart de la ville sous la forme d'un tunnel que mes yeux de jadis trouvait fort sombre et long. Deux frères mécaniciens y réparaient les modèles dépourvus de concessions officielles au chef-lieu du département, et c'est ainsi que j'ai passé des heures à bader des marques aujourd'hui disparues qui faisaient encore la fierté de la France, bien qu'elle ait perdu la guerre que les Américains avaient gagnée pour nous.
Les plus fréquentes étaient les Aigles à gros phares de Chenard Walcker qui reprenaient les codes esthétiques de la Ford V8 d'avant-guerre, les imposantes Panhard Levassor à volant central et moteur américain qui fumait bleu, les Hotchkiss Anjou toujours noires à boîte électrique, les Salmson S4 aux ailes joufflues avec un moteur bizarre construit en double culasse. Je suis monté une fois dans une Talbot Lago Baby deux-portes à tomber par terre, avec le siège si bas que je ne voyais pas le long capot. Les vitesses se présélectionnaient et on les engageait à la pédale, m'avaient-ils expliqué. D'après les deux frères, dont j'ai perdu le nom hélas, le critère de qualité d'une automobile était de pouvoir se conduire à cent à l'heure avec une seule main en haut du volant.
Sinon la ville était inondée (déjà) de Renault KZ, Primaquatre, Vivaquatre, Juvaquatre et Frégate, Vedette et Aronde Simca, Rosalie Citroën (à moteur flottant) et Traction avant, de Peugeot 201, 202, 402 et 203, et une petite six-cylindres Rosengart (LR64), celle de mon père. Mais les jours de foire, il y avait encore beaucoup d'attelages à chevaux qui venaient des alentours. Et puis c'est tout ! Le grand Legrand de Souyri venait à pied se fournir au magasin et repartait de même, chargé comme une mule pour deux heures.
Quand on parlait "voiture" à table, les marques à rêver étaient toujours Hispano, Delage, Bugatti, Delahaye, Voisin et finalement Rolls, mais on n'en voyait jamais. Le Plan Pons de réindustrialisation (clic) allait les détruire (pour celles qui avaient survécu à la grande crise et à la guerre) en dirigeant les ressources métallurgiques vers les modèles populaires et le charroi. Le marché de masse ne leur correspondait plus. Toutes les tentatives ultérieures de remonter en gamme échoueront, que ce soit Facel Vega, SM, Monica, Venturi. En fait, la France avait perdu ses motoristes et cette pénurie est irrémédiable.
Faute de moteur moderne en développement, la DS Citroën sortira avec le vieux tourne-broche de la Traction avant. Peugeot montera des arbres à cames latéraux sur ses modèles jusqu'à la 505. Citroën voudra économiser un nouveau moteur pour sa SM hyper-technologique en prenant le moteur en cristal de roche chez Maserati qu'ils venaient de racheter à la famille Orsi ; ce moteur fragile coulera la réputation d'une voiture extraordinaire. Peugeot et Renault-Volvo créeront de toute pièce un V8, raccourci en V6 par le choc pétrolier (le PRV), qui manquait de couple sous carburateurs et buvait en litres son chiffre en chevaux fiscaux. Il faudra attendre 1997 pour voir arriver sous les capots français un vrai moteur V6 doubles arbres et 24 soupapes avec le couple qui va bien et une consommation maîtrisée, mais ça ne pouvait pas être parfait - le chat noir était toujours là ; primant le coût, cet excellent moteur ESL Renault-Peugeot fut monté en position transversale compliquant et renchérissant son entretien. En long, ce moteur écrasait la concurrence. Puis viendra le downsizing général, qui risque bien de tuer nos marques si les actions collectives aboutissent en justice contre ces moteurs de mobylette martyrisés par des turbocompresseurs aux frais du client.
Il y a enfin un défaut d'image incompréhensible quand on connaît la qualité des châssis français et leur toucher de route inégalé. Il faut gagner des courses comme au début du XXè siècle pour nourrir la notoriété, la recette n'a pas changé, et pour ce faire, il y faut des moteurs. Les passionnés ont disparu des états-majors, ne restent que les cost-killers et les directeurs financiers omnibulés par le cours de bourse. Prenons l'exemple de la 407 (clic) :
Sur un châssis de piste avec doubles triangles avant à pivot découplé, ils ont monté sous un long capot très flatteur pour le loup de Tex Avery, un transversal (?!) et comme moteur de milieu de gamme (donc le plus vendu) un 2L poussif, peu en rapport avec le poids élevé du véhicule. La Grande Armée renverra ceux qui s'en plaindront au nouveau V6 plus cher. Les clowns de Top Gear feront une émission spéciale sur ce modèle raté avant même de savoir qu'il était en plus très copain avec le chef d'atelier de la concession de secteur. Ne parlons pas du coupé maison dérivé en plus moche, avec des louvers factices d'aération des freins. Fallait oser !
Mais pourquoi je vous bassine avec la dynamique mécanique des corps ? Parce que leur production est emblématique de la position d'un pays dans l'économie du monde. Nous fûmes avec nos trois cousins anglais, allemands et italiens à la naissance de l'automobile et de son amélioration continue. Jusque dans les années 50, tout ce qui se montait sur une voiture n'importe où dans le monde, Etats-Unis compris, provenait d'un concept développé par la bande des quatre. L'envolée phénoménale de l'industrie américaine hyper-rationnalisée de l'entre-deux-guerres ne changea pas cette hégémonie de l'ingénierie européenne pas plus qu'elle n'entama les volumes de production du vieux continent... jusqu'à ce que la pollution s'en mêle.
Le cycle de combustion à quatre temps c'est Beau de Rochas ; la batterie au plomb, Gaston Planté ; le carburateur, Fernand Forest ; le moteur V8, De Dion Bouton ; les pneumatiques gonflés, les frères Michelin ; le moteur à quatre temps de Rochas, Gottlieb Daimler ; les roues motrices directrices, Georges Latil ; la boîte à train épicycloïdal à présélection (qui sera développée par le major Wilson pour les gros couples), Marcel Viratelle ; la boite de vitesses à prise directe, Louis Renault (inventeur du char FT); la transmission automatique, Gaston Fleischel ; le moteur surcompressé, Rudolf Diesel ; le refroidissement par air, Alexis de Bischop ; le refroidissement par eau, Samuel Brown etc. etc. les Américains surent copier (et voler), comme les Japonais bien plus tard.
Après avoir tenté de guérir le moteur thermique de ses effluves par maints subterfuges comme le GPL et l'éthanol, il a fallu se décider à revenir à la traction électrique (salut, Jénatzy !). Après moult précautions prises en vertu du principe constitutionnel de précaution, par aussi l'appréhension atavique des élites européennes de la prise de risque et par le défaut de surplomb qui nous aurait révélé que l'affaire commençait par les terres rares, le lithium, les batteries embarquées, et surtout faute d'avoir distrait suffisamment de milliards pour financer cette grande reconversion, nous sommes sortis de notre champ d'expertise. Pendant ce temps, la jeune industrie automobile chinoise y est allée de bon cœur, à fond !
Notre marché est aujourd'hui pris d'assaut par les marques électriques chinoises qui, au prix d'une concurrence féroce sur leur marché domestique, proposent des modèles d'avant-garde, attractifs et parfaitement au point. Ce qui était impensable il y a cinq ans, quand on les défiait de passer les tests européens, s'avère imparable. Le tsunami, si redouté à l'époque de l'invasion japonaise d'autos mieux construites que les nôtres, déferle maintenant depuis la Chine populaire.
Que cela signifie-t-il ? Non pas que nous sommes largués, mais que nous sommes à la traîne, handicapés pour tout changement de bord par la frilosité de l'industrie trop encline à l'assistance publique, par la politique des compromis et du juste retour électoral. Et plus généralement parce que notre pays est sous-capitalisé : à force de pointer du doigt le succès et les signes extérieurs de ce succès, le succès est parti se faire admirer loin des envieux et des égalitaristes de la gauche improductive. Il y a de belles réussites françaises à l'étranger ; on ne les cite pas, ce serait du "french bashing" et de toute façon elles restent discrètes - chat échaudé !
A l'inverse, il y a aussi de belles réussites chez nous de firmes étrangères qui nous suggèrent que tout n'est pas fichu si nous voulons nous y mettre pour de vrai, sans attendre l'Etat impotent et jaloux, débroussailler la jungle des contraintes et stigmatiser l'ingérence de la technocratie castratrice. Il n'est pas innocent de constater que la première usine automobile française en termes d'unités tombées des chaînes est l'usine Toyota de Onnaing (Valenciennes). Elle a déjà vingt-cinq ans et a produit cinq millions de Yaris prisées des consommateurs. Ne faisons pas la liste des usines fermées ou reconverties qui accompagne le repli de notre industrie générale. Pour assembler quoi que ce soit ici, nous faisons fabriquer... ailleurs, en bénéficiant heureusement du marché commun.
Et nous ne parlerons pas des associations écologistes qui au moindre projet de chantier industriel ameutent contre lui ses voisins et au-delà, contre ses "nuisances" diverses et variées, si les mêmes qui pétitionnent pour des sous ne refusent pas l'emploi forcément dégradant !
Notre atout fondamental est que nous, Européens, savons encore tout faire et que notre créativité est intacte. Notre aéronautique le prouve, nos fusées Ariane, nos sous-marins à propulsion nucléaire aussi. C'est la liberté d'innovation qui pêche et la pusillanimité des banquiers qui freine les bonnes idées qui partent. S'y ajoute le lest de l'Etat normatif qui ne comprend pas qu'on puisse un jour vouloir se passer de lui. Même mort, il nous fera ch... Parlez librement avec un énarque, un X-Mines ou Pont, même avec un petit techno de SciencesPo, ils vous expliqueront tout ce qu'ils peuvent faire ou ne pas faire pour vous, sans jamais douter une minute que vous ayez recherché leur concours. A la question de savoir comment faire sans eux, ils resteront cois, au seuil de l'angoisse existentielle.
Sans verser dans le libertarianisme de l'Ecole de Vienne (même s'il faut avoir lu ces gens), on peut questionner l'action de l'Etat dans le domaine économique sur les cent dernières années. Le game-changer ce n'est jamais lui ! Si la noblesse républicaine avait l'étincelle de se replier sur le domaine régalien en s'appliquant à y être irréprochable, et si elle abandonnait l'économie aux forces de production, je crois qu'à l'issue d'une cure de désintoxication sociale, nous nous porterions mieux... et serions même capables bientôt de commencer à rembourser la dette honteuse que l'Etat invasif a mis sur la tête des générations montantes pour financer le hamac social et l'armée mexicaine de la fonction publique, celle qui s'est fait voler les bijoux de la couronne.
L'automobile fut la seule vraie victoire de l'Anarchie avec un grand "A". Quand elle aura disparue, pour des tas de bonnes et mauvaises raisons, on s'apercevra de la liberté inouïe qu'elle a apportée à l'époque moderne ; liberté anti-citoyenne pour la bien-pensance de gauche qui veut de toujours et plus encore demain transporter les gens dans un système collectif à sa merci. Dans le roman 1984 de George Orwell il n'y a pas d'automobiles. Peut-on finir sur un vœu ?
On me dit non dans l'oreillette. Ce sera pour une prochaine fois.
Roulez bolides !
ALSP !
Dois-je avouer mon hostilité viscérale à la firme Toyota dont nul ne devrait oublier qu'elle fournit la quasi-totalité des pick-up utilisés, après quelques aménagements en armes lourdes, par les groupes terroristes de toute la planète et aussi de quelques-unes des armées de pays indigents ? Or, acheter par exemple des Yaris fabriqués à Onnaing (France), c'est subventionner la construction dans d'autres pays de ces fameux pick-up de type Hilux ou Land Cruiser. Je m'y refuse obstinément.
RépondreSupprimerJe doute que la firme Toyota prenne des commandes d'organisations terroristes. Certes elle fournit des Etats et le trading général, comme d'autres avant elle, comme Land Rover ou Nissan. Il y a aussi le marché des flottes de seconde main avec des acteurs puissants, capables de livrer par centaines d'unités après remotorisation, decabossage et remise en peinture.
SupprimerJe ne suis pas naïf non plus et je me doute bien que la firme Toyota ne prend pas elle-même les commandes en question. Mais elle ne peut ignorer le trafic qui s'opère sur ses modèles. Or il y a bien quelqu'un qui paie dans l'affaire pour équiper les groupes terroristes. Qui sont les trafiquants ? On ne me fera pas croire que les services de renseignement ignorent qui ! Avez-vous entendu parler de ce scandale et des protections dont jouissent ses acteurs ? Moi, jamais. Bizarre non ? Il ne reste donc qu'à contrer le fabriquant en ne lui achetant plus ses produits... Même à Onnaing.
SupprimerMais il est vrai que le commerce l'emportera toujours dans ce monde pourri par le fric. Qui osera un jour dire enfin : ça suffit !
C'est "Barrage contre le Pacifique" ça ! De l'époque où je vivais du trading général, il me souvient que les gros équipementiers étaient en Afrique du Sud et en Belgique. D'autres marchands ont dû prendre leur place depuis lors, je pense aux Émirats du golfe persique. Les pourvoyeurs sont aussi les organisations internationales qui renouvellent périodiquement leurs flottes et font des lots importants que seuls le trading général peut payer cash. C'est un monde à part.
Supprimerrien de constructif, mais cet après midi, j'ai pensé à votre article: j' ai vu stationnée une magnifique Simca 1100 vert pomme. Mon père a eu la même (en vert foncé) de 1968 à 1983. Combien de fois j'ai entendu dans l'habitacle " De Gaulle disait au dirigeants de Simca: messieurs vous avez trahi la France, vous avez vendu Simca aux américains". Du coup j'ai emmené ma Super 5 orange vif brillant de 1984 (3 portes bien sur) au lavage. Fabriquée à Boulogne Billancourt quand même! Un relief du passé.
RépondreSupprimerLes Simca de Poissy furent de très bonnes voitures, bien construites et surtout innovantes. Pigozzi avait racheté l'usine Ford car le foncier étendu permettait de s'agrandir.
SupprimerQuand Peugeot a racheté Poissy ils furent bien contents de mettre la main sur de meilleurs moteurs que ceux de Sochaux.
La R5 était un concept très en avance, facile à fabriquer et donc très rentable. Renault a livré plus de huit millions de R5 et Super5 !
Quitte à être dans le vent de l'Histoire n'êtes-vous pas séduit par la nouvelle Renault 5 électrique ?
SupprimerC'est un modèle très réussi esthétiquement qui va plaire en Europe. J'en aurais besoin, je n'hésiterais pas.
SupprimerIl faut absolument que l'Europe et la France produisent leurs batteries pour maîtriser les coûts, sans trop compter sur les primes publiques de conversion qui pourraient bien se tarir dans l'état de calamité budgétaire annoncé.
En fait le "choc" est similaire à celui provoqué par la R5 originale de 1972.
Je crois que je ne vais pas longtemps hésiter.
SupprimerConfigurateur Renault 5 E-Tech (clic)
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