31 août 2025

Après le loup combattant, la diplomatie du chat

Le Yarlung Tsangpo est au Tibet ce que le Rhône est aux Gaulois, le Rhin aux Germains, le Danube aux Slaves et, pourquoi pas, le Rio Grande aux Mexicains. C'est le marqueur identitaire du territoire perché sur le plateau himalayen. Une carte valant mieux qu'une longue description, voici le lien géographique actif :
meltdownintibet.com/f_river_tsangpo.htm.
On y voit le grand fleuve courir d'ouest en est, puis virer à droite pour dévaler les montagnes vers le Golfe du Bengale via le Gange ; il s'appelle alors le Brahmapoutre. La ballade fait deux mille neuf cents kilomètres avec un dénivelé de 5540 mètres. Tout est grand là-bas mais attention, le canoë-kayak est compliqué par des crues terribles.

Quelle idée de parler du Brahmapoutre alors que de terribles choses nous appellent en Palestine, au Soudan et en Ukraine ? Trop de choses justement et qui fâchent !
Ce fleuve tibétain est au croisement de tous les intérêts de l'Inde et de la Chine populaire. Dans le cadre de leur affrontement séculaire sur la ligne de partage des eaux himalayennes, un accord éventuel de développement conjoint signalerait un renversement d'alliances tectonique. Or les déplacements du ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi, venu de la même veine qu'un Vergennes, nous font comprendre que Pékin cherche à profiter des insultes américaines à l'endroit du président Modi pour rebattre les cartes stratégiques sur tout le sous-continent. Pour une fois c'est assez simple, tellement que même le Département d'Etat pourrait comprendre.

De tout temps, la Chine a essayé de confiner le Raj britannique sur le versant occidental du toit du monde, et a pris l'avantage de sa mise en lambeaux par la décolonisation anglaise pour enserrer l'Inde dans la tenaille de la Birmanie et du Pakistan. Par la Birmanie, elle descend du Yunnan vers la Mer d'Andaman (Océan indien) via le Triangle d'Or. Par le Pakistan, elle vise la Mer d'Arabie à Gwadar qu'elle développe déjà à proximité du Golfe persique, en traversant tout le Baloutchistan. Une voie alternative plus à l'ouest passe par le corridor de la Wakhan qui entre en Afghanistan au-dessus des FATA pakistanaises infectées par l'islamisme radical que la Chine doit contenir à tout prix au Xinkiang.

Si la Chine populaire trouvait un modus vivendi plus serein avec l'Inde, en faisant droit par exemple aux revendications naturelles de son grand voisin en matière de partage des eaux de barrage, elle renverserait la table, au moment où les apprentis sorciers de Washington s'essaient à la stratégie. L'Empire des neiges pour sa part cultive les meilleures relations possibles avec les deux géants et rien ne dit qu'à eux trois, ils ne parviennent un jour à boucler le "Grand Jeu" historique à leur bénéfice respectif. Y perdront beaucoup les Etats-Unis, mais on ne peut longtemps faire l'enfant capricieux dans ce registre qui expulse les amateurs. La France de M. Macron est-elle calibrée au niveau requis ? Poser la question est y répondre.

Pour ce qui concerne l'Europe et la France spécialement, une pareille Trilatérale imposerait rapidement ses conditions sur tout l'Océan indien en attendant que la Chine populaire accède à l'Océan Pacifique nord, avec ou sans l'accord de la République de Chine (Taïwan). La question de la base navale océanique va se poser assez vite et chacun tente de profiter du mandat calamiteux de Donald Trump pour prendre son gain. Donc on ne doit pas être surpris de ce genre d'accélération. Les présidents indien et chinois s'étaient parlé à Kazan en octobre de l'an dernier lors du sommet des BRICS. Les chancelleries ont préparé d'arrache-pied le voyage dominical de Modi à Tianjin. La fenêtre d'opportunités est courte ; elle se refermera le 19 janvier 2029.

Si l'on veut creuser un peu cette question stratégique, je recommande l'article de François Danjou sur Question Chine que l'on peut lire par ici.

En quoi sommes-nous concernés au fond ?

Si (et seulement si), par un pacte même discret entre la Chine populaire et l'Inde contre les Etats-Unis, la guerre économique était déclarée, nous encaisserions le contrecoup du glissement stratégique par l'effet papillon d'Edward Lorenz, qui soutenait dans les années 70 que le battement d’ailes de papillon au Brésil pouvait provoquer une tornade au Texas. On dirait aussi "effet boule de neige". Coaguleront dans un temps relativement court par tout l'espace mondialisé des milliers de nouvelles contraintes marchandes depuis les matières et denrées de base jusqu'aux produits de consommation générale dont les flux seront capables de détourner dans de nouveaux canaux une partie de la circulation financière sur laquelle la France est branchée. La France, en banqueroute assumée par sa classe politique, sans réserves ni rentes, mais dont l'épargne des ménages servira de bouée de sauvetage à notre Etat impotent, sera frappée de sidération par sa propre impuissance à faire face à la globalisation des menaces. Nous tempêterons à tous les micros du monde mais nous n'aurons pas plus de réactions qu'un billot de bois qui descend la rivière. Et on parlera de la mobilisation…... de l'épargne pour sauver la république.

Notre modèle socio-politique est en défaut. La satisfaction des envies (au sens proudhonien) a consommé le capital productif du pays qui ne travaille plus assez pour couvrir les prestations sociales et qui se refuse d'y changer quoi que ce soit. L'insurrection générale de La Glande est dans dix jours. Le clientélisme démocratique récompensant le vainqueur du jour au débit des intérêts du vaincu est fatal à ce niveau d'impéritie, une trop grande proportion de citoyens étant nourrie par l'Etat qui l'empoisonne. Il n'y aura pas d'évolution mais une rupture de paradigme !

ALSP !

7 commentaires:

  1. Bigre. Très bon résumé de "l'Apocalypse" . Vous savez rebooster votre lectorat en période de rentrée. J'avais décidé de devenir optimiste, c'est raté!

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    1. Bonjour Camisard. Occupée par les chicayas pitoyables de nos "hommes" politiques, la presse a zappé la visite de 2 jours de Narendra Modi au Japon avant de monter à Tianjin au sommet de l'OCS. L'Asie se parle et congrue sur le mépris qu'ils portent tous à Trump. Mentalement, ils prennent leurs distances avec l'Occident et son empereur fou.
      Trump devait se recentrer sur la Chine, faut-il encore qu'il en ait les moyens intellectuels, ce dont je doute.

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  2. Le Grand Continent publie et commente la déclaration finale à Tianjin des dix membres de l'Organisation de Coopération de Shanghaï. C'est à lire :
    legrandcontinent.eu/fr/2025/09/02/declaration-tianjin-ocs/.

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  3. je suis en train de regarder un replay sur "Arte" qui s'intitule "Taiwan, la peur de l'invasion". Cet état a toute ma sympathie, mais.... un de mes fils est en réserve opérationnelle, mon neveu est chasseur alpin au 27° BCA, le fils de mon meilleur ami prépare Saint Cyr. Et là , je vois des chinois à Taïpei , torse nus avec des colliers de chiens en pleine gay pride qui revendiquent leur "indépendance". Si j' ajoute que hier soir, sur la même chaine je regardais le replay de "Poutine et les 5 mers", je me dis qu'une partie de notre jeunesse pourrait se sacrifier pour des valeurs moisies que combattent ceux qui sont censés être nos ennemis! Ce monde est bien complexe! C'était tellement plus simple avant: il y avait nous et en face les rouges! Je sais, je suis un vieux con!

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    1. La moitié des habitants de Taïwan est pour l'Anschluss. Le Yuan législatif est dominé par le Guomintang qui ne propose que des accommodements avec Pékin en attendant une réunification mythique.
      Et beaucoup d'argent circule entre les deux rives du Détroit.
      J'ai de la famille et des amis sur l'île, mon cadet y va régulièrement. Les gens attendent une embellie mais certainement pas la guerre. Et l'économie tourne à fond. Tous les Chinois du monde sont d'abord chinois.

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    2. Rassurez-vous nous sommes nombreux à vous ressembler, cher "vieux con" ! Même que Bayrou nous a affublé d'un pseudo : les Boomers.

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    3. M. Bayrou achevé sa carrière politique sur un échec retentissant que seuls les Palois pouvaient prévoir. Haute opinion de soi, propension à vouloir tout voir, difficultés à deleguer.
      La séquence estivale ne visait pas une sortie de crise mais à établir le plaidoyer pro domo le plus complet et le plus flatteur qui resterait de son mandat.
      Politiquement mort !

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