15 juin 2025

Éloge du jardin

En s'éloignant du bruit blanc, comme Douglas Adams appelait les zinformations, on risque d'entrer dans un jardin, surtout si l'on regarde souvent la chaîne japonaise NHK. Nous ne parlerons pas du jardin sec nippon traditionnel qui est un art à lui-seul, que nous ne savons pas déchiffrer. Le nôtre se défriche ! Il est vivant et mouillé et convient à l'homme simple. Tous les hommes ont la nature dans leur ADN et s'y intéressent. D'où le slogan philosophique "Jadis l'herbe...".

En le mien d'en-bas s'épand la jasmone C11H16O et le limonène C10H16. Il faut les sentir bien fort pour en chercher la formule. On peut aussi classer les couleurs des fleurs sur la palette Pantone. On peut jouer aussi à l'entomologue et classer les libellules, les abeilles nomades, les sauterelles, les coccinelles qui vont du rouge Disney au brun doré sans tache. Et que dire des mouches plaquées or ou en acrylique vert émeraude ? Quand on a fini, on n'a jamais fini. Passent scarabées et lucanes, majestueux, pharaoniens. Il faut aussi observer les lézards gris, verts, beiges, c'est facile, ils se noient dans une soucoupe d'eau tiède tant ils sont bêtes, la faute au cuivre peut-être qui coule dans leur sang. Reste la gent souterraine où trône le vers de hanneton et le lombric composteur pour finir par notre emblème national et dévastateur des laitues, l'escargot. Bien sûr, vous ne pourrez jamais faire tout ça sur un balcon, déjà qu'on n'a rien planté encore !

A la nuit tombée, quand chiens et loups ont disparu, sortent les timides et les oiseaux à nez de cochon qui ont mis des griffes au bout des ailes. Un voisin ingénieur a filmé son lopin à la caméra infrarouge pour s'étonner de la vie nocturne des petites bêtes à poil jusqu'à y rencontrer un renardeau un peu perdu d'avoir suivi une proie peut-être ou une idée fixe. Au matin tôt, vous partagez le jardin avec les passereaux qui y ont pris leurs habitudes comme le rouge-gorge copain qui vous suit partout si vous tenez une serfouette; et tout le reste de la journée travaillent les merles qui surveillent les chats. Le soir ils sifflent pour justement les énerver. La flore est tout aussi étonnante que la faune.
J'avais dans un angle un frêne - c'est l'arbre mythique du grand nord, il porte le monde et on en fait de tout - enraciné dans la grave du fleuve, qui était devenu immense, tant que les voisins m'avaient confié en être effrayés. Je le fis élaguer, il m'en a voulu, il est mort. On fit le rite et au débit, il couvrit une année de chauffage. Sinon, outre le tout-venant qu'il faut laisser s'installer et savoir contenir, l'astuce est d'y planter les quatre saisons. Il y a des livres pour ça et des gens qui vendent ce qui fait les belles images dans ces livres.

Un petit conservatoire de la vie et un théâtre de méditation, tel est le jardin qui bonifie les conditions de reproduction, croissance et adaptation à leur milieu des végétaux et animaux. La vie quoi ! Dans cet univers presque en vase clos, le jardinier "existe", au sens où il est le seul à disposer d'une conscience qui le situe dans le temps et l'espace quand tous les habitants vivent un soleil après l'autre. Justement, si vous avez de la vue, faites-vous une table d'orientation à partir d'une carte Michelin, elle projette l'âme. Repérez votre parallèle et transportez-vous tout le long, vous serez étonné de pouvoir vous déplacer comme un curseur sur une règle. Et on n'a pas encore parlé de la Lune qui, gibbeuse, mercrude ou rousse, montante ou descendante, gouverne les plantes et vous relie au cosmos en mettant en marée votre métabolisme.
Dans les périodes de moindre pression quand vous êtes assailli par les revers et les soucis, rien de mieux qu'une chaise à l'ombre du jardin pour méditer sur les lendemains qui iront mieux. Puisqu'on parle de chaise, savez-vous à quoi on différencie un nationaliste d'un patriote ? A la place qu'il choisit pour faire la pose sur sa chaise ! Celle du nationaliste est proche de la clôture du chemin pour surveiller qui va piquer les mûres, voire les prunes qui dépassent, sans parlers des cerises. Il y guette aussi les garnements qui lui tirent la cloche en rentrant de l'école. La chaise du patriote est inversée. Il tourne le dos au monde qui marche et observe son jardin et la vie de ses locataires, notant les petits et plus grands travaux à faire ou à finir ; il admire son œuvre et surtout ce que le jardin en a fait par lui-même, rajoutant du bois là, déportant la lavande qui se méfie du figuier, semant des primevères sur la pelouse folle et à la fin, si l'on est bien disposé, en écoute les bruits. Même une feuille de fusain qui tombe fait du bruit.

De senectute in hortum

L'ennemi du jardin en est une : c'est la paresse. Et même chez les plus actifs des finissants, elle peut submerger la meilleure volonté. Combien a-t-on vu de vieux jardiniers abandonner la houe pour monter en appartement ? "J'ai mis des géraniums sur le balcon, des retombants roses et rouges, ça met de la couleur et ne demande pas trop d'eau ; ça va bien avec l'aloe vera dans l'angle". Il est mort celui-là. Il va faire du lard dans son fauteuil orthopédique, le vrai nom c'est fauteuil-télé, et avec six cents chaînes par la fibre, il est déjà condamné. En plus il ne voit personne car les concierges, quand il en reste, ne montent plus de courrier puisque les gens ne s'écrivent plus par la Poste. Trois fois par an, il prendra l'autocar saucisson-pinard vers Villedieu-les-Poêles où se vend de la fonte à cuisine émaillée payable à tempérament. Puis viendra l'EHPAD et la chaise électrique... Alors qu'on peut continuer dans l'âge en adaptant l'espace de son jardin ! Le leitmotiv est de se simplifier la vie non pour les forces qui nous restent mais pour celles qui nous resteront demain. Alors voici quelques conseils qui ne valent que le prix de cet article :
  • Rabattre les haies à hauteur d'homme, elles se tailleront sans trop d'effort.
  • Paver les petites allées sur mortier de ciment au lieu de désherber au poison.
  • Rabattre les rosiers plus bas, à hauteur de la ceinture, et palisser les grimpants en leur appliquant un grillage large facile à dérouler ; il rempliront les espaces dès la mise en feuilles.
  • Faire élaguer les arbres plus sévèrement et rabattre les lauriers de moitié, surtout les lauriers-cerises.
  • Passer la bineuse sur les espaces en friche pour y semer des mélanges de graines à fleur afin d'obtenir un "jardin de curé". Les communes le font pour fleurir des coins de rue ou des rond-points. Ça marche !
  • Remonter les petits carrés potagers de façon à les travailler à hauteur d'un plan de travail d'office : il existe des caisses à radis d'un mètre de côté fabriquées en Pologne. La terre de jardin à y mettre reviendra plus cher que les caisses elles-mêmes.
  • Récupérer les eaux d'évier et les eaux de toit dans des cuves fermées pour éviter les séances d'arrosage au tuyau qui n'en finissent plus.
  • Débarrasser le barbecue en pierre de tous les trucs qu'on a posé là depuis vingt ans et le préparer pour y faire cuire des côtes d'agneau, des côtes de boeuf et des sardines avec tout le bois mort du défrichage. Excellent avec un Pinot noir.
  • Et in fine, si vous n'en avez pas déjà un, achetez un chien qui vous emmènera en promenade. C'est aussi l'occasion chaque jour de parler à quelqu'un. Un Cavalier King Charles, c'est calme et vous répond.
Pour terminer l'envoi, le conte philosophique sauvage est par ici (clic) ; ne vous en privez pas.

ALSP !

5 commentaires:

  1. En attendant l'herbe, est venue l'heure de se replonger dans les Géorgiques (clic), voire se faire un beau cadeau (clac).

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  2. Je me suis régalé. Non pas des légumes de votre potager ni des fruits de votre verger mais de votre vision de la vie au jardin lorsque l'on atteint la "senectus" : prudence, enchantement, sagesse mais aussi résilience en se souvenant des paroles d'Albert Camus : "L'homme n'est rien de lui-même. Il n'est qu'une chance infinie. Mais il est le responsable infini de cette chance."
    Quant aux recommandations, elles sont mon pain quotidien (sauf que je n'ai pas de chien et mes chats ne m'emmènent pas encore en promenade; je vais y réfléchir). Et ça marche.
    Merci enfin pour le conte philosophique sauvage comme le rappel bienvenu des Géorgiques de notre correspondant.

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    1. Merci de l'éloge. René est un vieux latiniste formé à l'école de l'abbé Ricard, mais il nous propose l'ouvrage de Virgile en français érudit.

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    2. Bravo donc et merci à René !

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  3. Je soutiens tout à fait votre proposition de "carrés potagers polonais". Ils sont excellents, efficaces et... productifs. Ils permettent de réduire l'usage de la bêche voire de la grelinette (la griffe de jardin marche très bien) et suffisent lorsque l'on n'a plus de famille nombreuse à la maison et que l'on ne projette pas de vendre ses légumes au marché du village. J'en ai onze à disposition et ça suffit largement avec quelques zones de peine terre pour les extras...

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