L'écosystème européen se modifie à vue d'œil alors que la France est empêtrée dans une inertie structurelle grave que signale aux autres notre incapacité à nous gouverner. Le chef de l'Etat passe d'une estrade à l'autre mais à sec, quel que soit le sujet en séance ; son premier ministre patauge dans un procès stalinien qui fait penser à l'Aveu de Costa-Gravas (moins les lunettes de bronzage) alors qu'il aurait dû envoyer dès le départ les Enragés se faire foutre en prenant sa perte. Le sparadrap ne le lâchera plus maintenant que la calomnia le suivra où qu'il aille. S'il ne peut être battu à la Chambre basse, il le sera dans l'opinion, comptent ses ennemis. Nous sommes au niveau zéro de la démocratie avant la Marche sur Rome qui chez nous s'appellera les Gilets gris, jaunes ou verts.
Va se poser très vite la question du périmètre pertinent pour faire face à la convergence de nos ennuis : national ou européen ? A part ça, il y a deux (grands) textes à lire cette semaine :
Dominique de Villepin qui entrera dans l'histoire par son discours fameux à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, hausse le niveau d'analyse stratégique dans un article du Grand Continent qu'on peut lire ici tant qu'il est en libre service. L'article est classé par le site dans la rubrique "Pièces de doctrine". Phrases-clés ? ou mieux introduction et conclusion :
« L’épuisement du monde prométhéen. Prométhée est épuisé. Voilà ce que nous devons reconnaître sans détour, avec la gravité qui s’impose. Notre monde, ivre de puissance, vacille désormais au bord de ses propres limites. Le sol se dérobe sous nos pas et l’horizon s’assombrit. Ma thèse est simple : les transformations politiques actuelles et à venir du monde s’enracinent dans un phénomène unique, l’épuisement du modèle de développement de la modernité, fondé sur l’exploitation intensive des ressources naturelles, sur l’intensification continue des échanges mondiaux, sur l’expansion de la sphère marchande dans nos vies, sur la centralité de la puissance militaire pour garantir l’ordre, et sur l’illusion de rivaliser avec les dieux. Cinq épuisements qui n’en font qu’un... »
« La nation n’est pas un réflexe. C’est un projet. Il sera celui de la république des vivants. Une république des limites, de la justice, de la dignité. »
Nous devons le second article important de cette semaine à une réfugiée de l'esprit qui a abandonné le royaume de la Connerie aboyeuse pour la Liberté des neiges, Marci Shore. Son titre : Trump, Poutine : peut-on parler de fascisme ? (cf. PS). Elle déroule avec talent le nouveau concept de « l'obnazhénie ». Intraduisible en français ou en anglais, c'est un mot-valise slave qui enferme des vices du gouvernement des hommes comme "le mensonge, le nihilisme moral, l’obscénité, la cruauté pour la cruauté, la destruction pour la destruction". On pourrait synthétiser le concept dans une forme de régression morale de l'espèce humaine, un darwinisme à l'envers voire back to the trees ! Il s'applique facilement au gouvernement pervers du clan Poutine, et si on y ajoute l'exaltation de la Bêtise, à celui de l'administration Trump. La différence entre les deux est assez nette : d'un côté, des monstres avides de faire mal à qui refuse l'adoration ; de l'autre, l'incompétence et l'outrance comme drapeau avec le loyalisme le plus bruyant des petits pions atterrés par les foucades du roi Ubu. Des malins et des cons, chère Médème !
Cet article fondamental, proposé par Telos, est accédé par ici. Traiter Trump de "Joker de l'apocalypse" mérite déjà le détour. Contrairement à l'article précédent, la proposition de Marci Shore est inédite (à ma connaissance) et fait du neuf.
Postscriptum : pour le blogmestre, le fascisme est un mouvement daté et soutenu par une idéologie spécifique enracinée dans l'histoire de la nation italienne. Sauf à brandir le culte du chef et l'omnipotence de l'Etat, le fascisme n'est pas universel et les resucées d'après-guerre de pâles copies purement rhétoriques. On devrait dériver le mot actuel du concept original en utilisant la graphie "fachisme".
- https://legrandcontinent.eu/fr/2025/04/07/doctrine-villepin-le-pouvoir-de-dire-non/
- https://www.telos-eu.com/fr/trump-poutine-peut-on-parler-de-fascisme.html
- https://legrandcontinent.eu/fr/2025/05/18/thiel-nihilisme/
Dans le droit fil du pamphlet de Marci Shore, Peter Thiel donne sa réponse à René Girard dans Le Grand Continent. A intégrer dans le billet ci-dessus.
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