En notre ère de pourriture, béni soit le poète, le seul à nous faire souvenir que l'espèce humaine n'est pas que crimes et défauts. Pensait-il à la Reine de Saba, ce fils de David, quand il gravait son parchemin, lettre à lettre, à l'encre de charbon de bois, le cœur noué d'amour en écoutant le rire du harem jouant autour de la fontaine murmurante ? Ce qui ressort du Cantique est le temps suspendu, comme une éternité dès qu'on se défait de la vanité addictive. Où que nos regards se portent aujourd'hui, le sang jaillit, d'où que le vent vienne, il apporte l'odeur du choléra dysentérique, la puanteur référente. Ne faites pas votre inventaire, vous pourriez en tomber malades.
Pourquoi le Cantique des cantiques dans son érotisme explicite fut-il agrégé au Tanakh, après bien des débats dans les cercles hébraïques ? Parce qu'il consacre la divinisation de l'amour âme et chair. Parce qu'il est l'ombre chinoise de l'amour que Dieu porte à sa création, du moins c'est ce qu'ont trouvé les savants. Mais il condamne en retour l'absence d'amour et in fine la chasteté, mettant en porte-à-faux le principe de célibat des prêtres catholiques. C'est donc une affaire grave, si grave d'ailleurs que tous les conciles depuis le premier à Elvire (Grenade) en 305, l'avaient à l'ordre du jour. C'était déjà un peu tard, si on y réfléchit bien, par rapport à la catéchèse du Christ en personne qui n'a jamais tranché la question, pas plus que saint Paul qui s'en approche dans une épître au Corinthiens en canalisant le désir dans le mariage, mais qui ne bloque pas la question comme le feront plus tard les conciles médiévaux submergés par le concubinage général du bas-clergé. Concubinage accepté souvent par les prélats du fait que la fornication matrimoniale produisait moins de désordres sociaux que l'amour libre. Que dire de la paix des villages quand l'autorité locale incontestée était un célibataire, un homme dans toute sa force en ses désirs refoulés ?
Ego flos campi et lilium convallium. Sicut lilium inter spinas, sic amica mea intr filias. Sicut malus inter ligna silvarum, sic dilectus meus inter filios. Sub umbra illius, quem desideraveram, sedi, et fructus eius dulcis gutturi meo. Introduxit me in cellam vinariam, et vexillum eius super me est caritas. Fulcite me uvarum placentis, stipate me malis, quia amore langueo. Laeva eius sub capite meo, et dextera illius amplexatur me. Adiuro vos, filiae Ierusalem, per capreas cervasque camporum, ne suscitetis neque evigilare faciatis dilectam, quoadusque ipsa velit...(la traduction est au-dessus)
Les affaires de mœurs n'ont jamais disparu de l'Eglise catholique, mais aujourd'hui où l'effectif du clergé est à l'étiage, elles sont plus visibles et carrément condamnées dans l'opinion. Vivre au XXIè siècle "dans le siècle" convoque au-dessus de chaque clerc une forme de surhumanité pour résister aux tentations toujours plus pressantes, tant et si bien qu'on ne doute plus que des curés soient en ménage comme leurs ancêtres du Moyen Âge. Combien y en a-t-il est difficile à savoir, les partisans du célibat, tous des hommes, minorent les estimations, les femmes les majorent. Il existe même une association des femmes de curés qui s'appelle Plein Jour et qui est domiciliée dans le département le plus "avancé" dans la pratique du droit naturel, les Pyrénées atlantiques.
Qu'est-ce à dire pour l'avenir ? La survie du christianisme viendra de la jeunesse. Pélés et jamborees nous montrent qu'ils sont moins friands de droit canon par la lecture des décrétales que d'engagement sociétal dans le cadre plus général de la réparation des injustices, tant celles de conditions d'existence que celle des capacités personnelles à les affronter. La charité est une tradition ancestrale, comme dans toutes les religions, mais l'institution catholique met en culture la misère, en prend soin, favorisant le soulagement de la peine à son traitement préventif. Dans cet élan caritatif et humanitaire, l'ordination de prêtres en nombre suffisant pour encadrer une ressource en augmentation de croyants plus exigeants que leurs aînés ne pourra faire l'impasse de leur mariage et de leur genre. L'hostilité à cet aggiornamento tant attendu se fonde sur des pratiques d'ascèse qui ne peuvent se maintenir dans la vie de tous les jours hors des clôtures monacales ; quant aux refus des femmes par les Monsignori, il pêche comme le célibat d'une absence criante de décision de la part du Christ en personne. A ce que nous disent les Evangiles, il vécut entouré de femmes et de disciples, mais de femmes surtout. Et si l'on en croit le suaire, il était assez beau gosse aussi. Qu'à son époque, les femmes aient eu un statut social décalé par rapport aux hommes - c'était des Hébreux quand même - ne peut les discriminer de la prêtrise puisqu'à aucun moment il ne les proclama inaptes. S'il choisit douze apôtres hommes c'est aussi parce de force il pouvait avoir besoin et peut-être aussi - c'est une thèse personnelle - parce que les hommes étaient plus influençables que les femmes, donc plus disciplinés, moins discutailleurs. Marions donc les prêtres et ordonnons les femmes. L'effectif remontera dans la quiétude des instincts apaisés.
Difficile pour finir de passer à côté d'un principe manichéen qui est, à mon avis, l'encouragement le plus fort à tolérer la "bête" humaine dans un schéma évolutif : pour les Parfaits, aucun homme n'est au même stade d'évolution vers l'expiation finale à travers ses vies successives. En fin de process, ceux qui ont abouti à l'expiation considèrent le désir comme un péché abominable contre l'Esprit, source de la connaissance émanée ; alors que ceux qui n'en sont qu'au début éprouvent cette tentation naturelle comme d'autres la faim ou la soif. Dépendant de la Matière gouvernée par l'instinct (bestial), ils doivent être accompagnés par le pardon vers leur amélioration. Il faut avoir pitié de ceux qui « brûlent » comme on disait alors, et compter sur l'émoussement de la libido qui transmue la passion en amitié et l'amour physique en chasteté de fait. Le Bien et le Mal ne s'affrontent pas, le premier peut dissoudre le second. Fin de l'aparté cathare.
Mais de poètes, nous avons aussi les nôtres. De qui est ce joli sonnet ?
« Je veux mourir pour tes beautés, Maîtresse,
Pour ce bel œil, qui me prit à son hain,
Pour ce doux ris, pour ce baiser tout plein
D’ambre et de musc, baiser d’une Déesse.
Je veux mourir pour cette blonde tresse,
Pour l’embonpoint de ce trop chaste sein,
Pour la rigueur de cette douce main,
Qui tout d’un coup me guérit et me blesse.
Je veux mourir pour le brun de ce teint,
Pour cette voix, dont le beau chant m’étreint
Si fort le cœur que seul il en dispose.
Je veux mourir ès amoureux combats,
Soûlant l’amour, qu’au sang je porte enclose,
Toute une nuit au milieu de tes bras. »
ALSP !